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jeudi 21 novembre 2024

Un lieu de vie intergénérationnel au « fin-fond » de la Corrèze : le beau et complexe pari de l’association « LIVE » à Bonnefond

L’épineux sujet de la protection de l’enfance revient, pour de bien tristes raisons, au cœur de l’actualité et l’Assemblée a déjà concédé la nécessité urgente d’une profonde remise en question de l’État sur le sujet. Les dysfonctionnements sont nombreux mais il existe de beaux projets comme celui de l’association « LIVE » qui fait le pari de réunir dans un même lieu personnes âgées et jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance dans le petit village corrézien de Bonnefond depuis 5 ans. 

C’est dans le petit village corrézien de Bonnefond, niché entre le Plateau de Millevaches et le massif des Monédières, que Florence et Philippe Saint-Marcoux ont choisi de concrétiser un projet un peu fou mais plein de sens pour nos territoires ruraux : créer un espace d’accueil intergénérationnel qui rassemblerait des personnes âgées et jeunes qui bénéficient d’une mesure de protection de l’enfance.

Philippe et Florence Saint-Marcoux en compagnie de Caroline Pouget, éducatrice © Camille Rizard

Un projet longuement mûri

Florence travaille dans la protection de l’enfance depuis plus de 20 ans, Philippe a passé une bonne partie de sa carrière dans de grands restaurants comme cuisinier et sommelier. Une précédente expérience d’accueil d’enfants de la protection de l’enfance dans un « Lieu de vie et d’accueil » (LVA) leur avait permis de constater à quel point la proximité des jeunes avec des personnes âgées est bénéfique et enrichissante pour chacun.

« Un « LVA » c’est une structure sociale ou médico-sociale de petite taille qui assure un accueil et un accompagnement personnalisé en petit effectif, d’enfants, d’adolescents et d’adultes, exposés à une situation familiale, sociale ou psychologique problématique. »

L’idée leur vient alors de créer un lieu intergénérationnel, encore très rare en France. Après 3 ans de réflexions et de démarches administratives, il ne leur reste plus qu’à trouver le lieu où implanter leur projet. Le petit village rural de Bonnefond coche toutes les cases et l’ancienne auberge est à vendre, ainsi que 2 maisons dans les environs. Leur projet peut se concrétiser.

Ils créent l’association LIVE (« Lieu intergénérationnel de vivre ensemble ») dont l’objet est de contribuer au maintien du lien social entre les générations, dans le respect de la dignité et de la valorisation des compétences de chacun, tout en dynamisant le territoire rural. Et en 2019, la première maison ouvre ses portes à 7 jeunes de 14 à 21 ans encadrés par plusieurs professionnels pour les accompagner à vivre le quotidien avec le plus d’autonomie possible. Depuis décembre 2023, une troisième maison accueille 7 enfants de 7 à 14 ans.

En parallèle, l’ancienne auberge a été totalement rénovée afin de créer au rez-de chaussée un café associatif, et, à l’étage, six chambres et une cuisine collective pour permettre l’accueil de personnes âgées avec pour objectif de favoriser le maintien à domicile et la socialisation de personnes en perte d’autonomie, trop souvent isolées : une alternative aux EHPAD, à dimension familiale.

Faire cohabiter des jeunes et des moins jeunes, le beau pari de « LIVE » © Association LIVE

Les valeurs de « LIVE »

LIVE est une association à vocation humaine et sociale, ses valeurs fortes sont la solidarité, le partage, la dignité, l’inclusion, la tolérance et la convivialité . Elles prennent vie au travers des projets qui permettent la rencontre entre résidents et habitants. Une éducatrice passionnée de jardin a par exemple permis aux jeunes d’oeuvrer à la mise en place d’un jardin partagé communal. Les travaux d’aménagement et d’embellissement des locaux sont un excellent support pour s’initier au bricolage.

S’initier au bricolage, un bon moyen de gagner en autonomie © Association LIVE

Le café est un lieu de rencontre entre les différents usagers des lieux, mais il est également ouvert aux habitants et aux touristes de passage. Sur réservation, il est possible d’y déguster un excellent repas cuisiné sur-mesure. On y trouve aussi un petit coin épicerie qui dépanne les gens de passage ou des environs. Philippe initie les jeunes à la restauration et les fait participer à tous les postes lors de la venue de clients. Accueil, service, cuisine, plonge, … ils se prennent au jeu et aiment contribuer à la vie du lieu et au dynamisme de la commune.
Certains s’initient à la citoyenneté en participant activement au CVS (Conseil de Vie sociale).

En tissant le lien social, les jeunes reprennent confiance en eux et trouvent de nouveaux repères, apprennent à communiquer et à s’intéresser à l’autre, et se décollent de l’image stéréotypée des jeunes de la protection sociale, trop souvent perçus comme des jeunes à problèmes voire délinquants. Les personnes âgées se sentent utiles auprès des jeunes, à travers leur présence attentive, leur histoire et le fruit de leurs expériences de vie.

Fabrication et vente de produits « faits maison » © Association LIVE

5 années de vie : loin d’être un long fleuve tranquille

Un accueil en demi-teinte

Bien accueilli par la majorité des habitants et grandement soutenu par la municipalité, le projet n’a cependant pas fait l’unanimité. Il a fallu du temps à toute l’équipe pour montrer que ces jeunes en souffrance sont capables s’adapter, respecter l’autre, contribuer à la vie du village, s’intégrer pleinement.

Des ralentissements administratifs

Depuis le lancement du projet, et malgré l’enthousiasme des institutions devant son aspect novateur, les ralentissements administratifs ont été nombreux. Les taux horaires souvent négociés à la baisse limitent le champ d’action des professionnels et la mise en place de nouveaux projets. Et surtout, contrairement à ce qui était prévu au départ, les personnes âgées intéressées doivent financer à 100% la location de leur logement, ce qui limite le nombre de candidats et donc l’aspect « intergénérationnel » du projet initial.

Un recrutement de professionnels compliqué

La gestion des 2 maisons de jeunes nécessite la présence de 10 salariés. Un des objectifs du projet était de créer de l’emploi sur le territoire. Il s’agit d’un travail engageant qui demande une présence de grande qualité auprès des jeunes. Les éducateurs partagent pleinement leur quotidien et alternent une semaine complète sur place et une semaine de congés. Il reste encore 4 postes à pourvoir actuellement.

Malgré les difficultés, Philippe et Florence, restent fidèles à leurs valeurs et gardent le cap de leur projet novateur : permettre aux jeunes fragilisés de devenir créateurs de leur avenir, favoriser l’autonomie et le libre mouvement des personnes âgées dans des lieux de vie partagés, tout en dynamisant le territoire.

Les « LVA » : une solution encouragée par le département

Dans son Schéma départemental en faveur de l’enfance 2022-2028, le Département de la Corrèze souligne les défis auxquels il fait face dans l’accompagnement des jeunes relevant de la protection de l’enfance. En 2021, le nombre de mineurs non accompagnés confiés au département avait augmenté de 600% en 6 ans, et le nombre d’enfants placés de 25% en 10 ans (1160 enfants placés ou accompagnés sous mesures judiciaires).

Face à cette augmentation, le nombre de places en accueil par des assistants familiaux est loin d’être suffisant. Au premier trimestre 2024, 163 assistants familiaux accueillent quelques 368 mineurs confiés. Afin de pallier le manque de capacité d’accueil, le département a lancé des campagnes de communication pour susciter des vocations.

Le Département souhaite également diversifier son offre d’accueil en soutenant la création des LVA, « une solution alternative intéressante puisqu’ils permettent d’accueillir les jeunes en situation familiale, sociale ou psychologique fragilisée avec un fonctionnement à la fois familial et semi-collectif, axé sur la relation continue d’un nombre d’adultes référents réduit ».

Philippe est convaincu que les lieux de vie et d’accueil sont des structures intéressantes pour l’accueil des jeunes placés. Mais il rappelle que pour bien fonctionner, un LVA nécessite une équipe de professionnels compétents et un taux horaire suffisamment valorisé pour pouvoir permettre un encadrement de qualité auprès des jeunes.

Espérons que l’État se dotera rapidement d’une politique nationale à la hauteur des enjeux et donnera aux collectivités territoriales les moyens nécessaires à coordonner correctement la protection de l’enfance sur leur territoire. L’équation est simple : vaut-il mieux mettre les moyens financiers et humains nécessaires pour prévenir maintenant, ou avoir à « guérir » dans quelques années ? (et à quel prix ?) Entre ces deux options, les vies déjà compliquées de nombreux enfants balancent…

Camille Rizard
Camille Rizard
Correspondante Actus Limousin en Haute-Corrèze

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