Depuis sa création en 1824, la manufacture « J.L Coquet & Jaune de Chrome », basée sur les rives de la Vienne à l’entrée de Saint-Léonard de Noblat, perpétue un savoir-faire artisanal qui a fait sa réputation. 200 ans après sa création, et 5 ans après sa reprise par le groupe « CELT », sa porcelaine fine et joliment décorée a trouvé sa place sur les tables des chefs étoilés et d’une clientèle internationale fortunée.
Autrefois, un service en porcelaine figurait inévitablement dans le « trousseau de la mariée ». La tradition a aujourd’hui disparu… sauf dans quelques états américains. Durant des décennies, les porcelainiers de Haute-Vienne ont surfé sur la vague de la liste de mariage avant de subir de plein fouet la crise économique des années 1970 et le très fort déclin de l’activité durant les deux décennies suivantes. Cette période sombre de la porcelaine de Limoges verra les effectifs du secteur se réduire considérablement et de nombreuses fabriques prestigieuses disparaître.
Si la manufacture « J.L Coquet & Jaune de Chrome » fait pourtant partie des quelques survivantes qui avaient su se renouveler pour perdurer jusqu’au renouveau de l’activité porcelainière limougeaude à partir de la fin des années 2000, elle avait finalement été placée en liquidation judiciaire en 2019 puis reprise par la « Compagnie Européenne de Luxe et Traditions« , un groupe familial français détenteur d’ateliers et de manufactures d‘excellence, symboles de l’art de vivre à la française comme l’orfèvrerie Odiot, l’atelier Rouge-Pullon (orfèvrerie et argenterie) et Margot (créateur de robinetteries). Le groupe CELT voulait diversifier son activité avec cette nouvelle pépite pour proposer un pôle arts de la table associant porcelaine et orfèvrerie.
« Coquet, la belle endormie qui avait du potentiel »
A sa reprise en août 2019, la manufacture ne comptait plus que 65 salariés. Aujourd’hui, ils sont 90 et la manufacture a réussi à regagner des parts de marché malgré une conjoncture morose due au Covid 19. « L’année 2020 a été difficile quelques mois seulement après la reprise » se souvient Sébastien Cich, directeur général, « cela a un peu freiné notre plan de développement, il a fallu faire le dos rond. » Cette persévérance finit par payer car pendant la crise sanitaire, la clientèle internationale a redécouvert le plaisir de recevoir chez soi, d’enjoliver son intérieur avec un architecte d’intérieur ou un décorateur et… d’acheter de la belle porcelaine. « La porcelaine s’exporte extrêmement bien» constate-t-il, «on a profité du regain des arts de la table.»
« Coquet, c’était la belle endormie qui avait un potentiel à redévelopper » note le directeur, « le chiffre d’affaires à l’export est passé de 40 % à presque 75 % L’Europe reste notre premier marché avec la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Benelux où on a aussi reconstruit un réseau commercial. Aujourd’hui, on est davantage présent aux États-Unis et en Asie. » Dans ces pays, les gens aiment le luxe et le savoir-faire haut de gamme français, et leur pouvoir d’achat est plus élevé. Les clients chinois, vietnamiens et américains fortunés aiment se faire plaisir et commandent 10 assiettes plates et 10 à dessert.
Car si le groupe CELT mise majoritairement sur l’hôtellerie, un segment qui représente 70 % du chiffre d’affaires de « J.L Coquet & Jaune de Chrome », sa stratégie de recruter des agents commerciaux aux États-Unis, en Asie et Europe pour représenter les marques du groupe a permis de reconstituer un réseau qui n’existait plus et qui s’étend désormais sur une trentaine de pays. Et pour assurer l’avenir, l’outil de production est dimensionné pour répondre à un marché en progression.
Sur les tables de Ducasse, Pic et Alléno
Grâce aux aides de l’État, des restaurateurs en ont profité pour se rééquiper et, plus largement, l’art de vivre à la française a connu un vrai regain d’intérêt. « Notre premier marché, ce sont les chefs étoilés et les grands établissements » remarque-t-il. Parmi ses clients, il cite des noms prestigieux : Alain Ducasse, Anne-Sophie Pic, Kei Kobayashi, le Georges V, Le Bristol, Le Crillon… Des chefs qui achètent de la porcelaine Coquet pour servir d’écrin à leurs créations, à l’instar de Yannick Alléno, « le chef au 15 étoiles ».
Ses collections sont aussi distribuées dans une poignée d’enseignes haut-de-gamme comme «Le Bon marché » à Paris et attirent des clients étrangers très fortunés ou encore chez Lachaniette à Limoges et dans sa boutique, rue Royale à Paris. En Corée, les grands magasins en proposent désormais, tout comme les revendeurs multi-marques aux Etats-Unis. En 2025, la manufacture doit ouvrir un show-room à New-York.
Le chiffre d’affaires a plus que doublé en quatre ans. Pour cela, il a fallu augmenter la capacité de production et remplacer une génération d’artisans partis à la retraite. Un double challenge mené sans filet. « Recruter du personnel, le former et le fidéliser a été le grand défi de la manufacture » signale le directeur, « on forme sur le tas des gens qui viennent d’univers différents et veulent se reconvertir sur des métiers plus manuels ayant du sens. » Un défi dont la réussite se mesure aujourd’hui au très faible « turn-over ». Pour perpétuer le savoir-faire, la manufacture JL Coquet & Jaune de Chrome mise avant tout sur l’humain. « C’est l’ADN de la marque, je n’ai pas l’intention de tout passer en mécanique, je veux garder le geste humain. »
Les petites mains fabriquent 400 000 pièces par an, en hausse de 40 % en 5 ans, et le carnet de commandes est bien rempli. Les investissements ont porté sur le réaménagement de la manufacture pour gagner en productivité et le remplacement de quelques machines. Une presse de coulage sous pression a été installée, un four arrivera en décembre et l’atelier de coulage sera agrandi en 2025. Une année où deux projets encore confidentiels et développés en « co-branding » sont prévus avec des marques de renom devraient apporter encore plus de visibilité et de notoriété.
Objectif : gagner en notoriété
Autre nouveauté, la nouvelle collaboration avec le designer Thomas Bastide a permis de créer des pièces techniques comme une verseuse. « Il faut apporter de la créativité extérieure, un regard neuf sur notre marque » indique Sébastien Cich. La manufacture se distingue par la modernité des pièces et des formes, des effets matière, du mat, du satiné, du brillant, des gravures… Pour les décors, les couleurs sont pulvérisées ou peintes à la main, des gestes précis et dosés. Les chromos (feuilles posées à la main sur du blanc) ont presque disparu de sa gamme.
Son atelier de décoration « Jaune de Chrome » a mis au point une technique unique à savoir la pose d’émaux réactifs grand feu sur de la porcelaine fine. Un alliage d’émaux et de composants métalliques est appliqué sur la porcelaine pour créer un effet matière visible qu’après la cuisson. Avec un résultat qui réserve des surprises pour des pièces vraiment uniques.
Deux siècles après sa création, la manufacture « JL Coquet & Jaune de Chrome » semble donc avoir encore de beaux jours devant elle et, à l’instar des grands crus, de se bonifier avec le temps. Pour marquer ses 200 ans, une cuvée spéciale sera d’ailleurs mise en bouteille ces jours-ci avec « Le Repaire du Noblat », le vin miaulétou. Une bouteille en porcelaine bien sur; fabriquée en seulement 200 exemplaires et offerte au personnel et à des clients.
Pour découvrir les créations et le travail de « JL Coquet & Jaune de Chrome », rendez-vous sur le site jlcoquet.com.
Texte : Corinne Mérigaud / Photographies : Brice Milbergue