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vendredi 6 juin 2025

Sur les traces du Transcorrézien : mémoires d’un train pas comme les autres…

Alors que la Viaduc des Rochers-noirs – ouvrage emblématique lié à l’histoire du « Transcorrézien » – vient de connaître une rénovation d’une ampleur inédite à Lapleau et Soursac, nous sommes partis sur le parcours de l’ancienne ligne du fameux « Tacot ». Embarquement immédiat pour un voyage dans le temps à la découverte de quelques vestiges de cette époque !

Comment désenclaver la Corrèze ? La question n’est pas nouvelle puisqu’il y a un peu plus d’un siècle, on tentait déjà de résoudre cette problématique. Et pour y arriver, on misait alors sur le chemin de fer avec des réseaux secondaires (le réseau d’intérêt local). En 1913, le Président Raymond Poincaré fait le déplacement en personne en Corrèze pour inaugurer l’arrivée de la « modernité » dans nos campagnes : le Transcorrézien, une ligne de tramway à vapeur de plus d’une centaine de kilomètres reliant Ussel à Tulle via Neuvic ou encore Marcillac-la-Croisille, en passant notamment par le Viaduc des Rochers-Noirs que nous évoquerons plus bas. En ce début de XXème siècle, avant les heures sombres de « la Grande Guerre », c’est le chantier le plus important de France, mené par la Société des Tramways Départementaux de la Corrèze.

De 1913 à 1960, le « Tacot », comme on l’appelait familièrement, va sillonner la campagne (et créer quelques anecdotes improbables) jusqu’à son arrêt définitif avec l’arrivée de la voiture. Il en est alors fini de mettre huit heures pour rallier Tulle à Ussel.

Carte du parcours du tramway à vapeur « Transcorrézien »

Un carte du parcours du "Transcorrézien" aussi appelé "Tacot"
Bien moins rectiligne que sur cette carte, le parcours de 190 kilomètres du « Transcorrézien » permettait de rejoindre Ussel depuis Tulle en environ… 8 heures de trajet ! © Actus Limousin

Gare d’Ussel. En 2025, quelques TER partent encore en direction de Limoges et de Brive depuis le petit quai. Tout semble calme ici. Devant, ce sont des bus qui filent vers l’Auvergne. Le « Grand Hôtel » a repris des couleurs et tente d’égayer un quartier dont les grandes heures semblent loin. On peine à imaginer que c’est d’ici, il y a un siècle, que s’élançait le Transcorrézien, de la Compagnie des Tramways de la Corrèze. « Le Tacot desservait les stations Ussel-ville avant le terminus Ussel-gare en passant par l’avenue Carnot, avant la modification de son tracé en 1931 par la construction d’un nouveau pont sur la Sarsonne », explique le Pays d’art et d’histoire des hautes terres corréziennes et de Ventadour (PAH).

Le « Tacot » en gare d’Ussel © DR

À Ussel, aujourd’hui, quand on parle de « Tacot », on pense plutôt à un bar-restaurant. Et pour cause, le célèbre établissement est situé sur l’ancienne ligne du train, route de Neuvic. À l’intérieur, le bar vient de connaître un rafraîchissement. Ici, tout rappelle l’épopée du Tacot, jusqu’à la reconstitution des wagons dans lesquels on peut manger. « Cet établissement, il a toujours été lié au Tacot, il y avait la petite gare juste à côté, au niveau de l’abribus », raconte Jean Farges, propriétaire des lieux depuis 2015. Si le rugbyman ussellois n’a pas connu les grandes heures du Tacot, on lui a rapporté que ce quartier ussellois était appelé « quartier de la Gaieté ». « En face, il y avait un dancing dans les années 1950-1960. Dans l’immeuble à côté, il y avait un bar et ici c’était le bistrot de la gare. » raconte Jean Farges.

L’actuelle route de Neuvic voyait rouler le Transcorrézien qui, sortant de la ville d’Ussel, franchissait la Diège et commençait l’une des grandes côtes de son parcours. « Dans la côte de La Serre (à Mestes), il fallait presque l’aider le Tacot », blague des anciens attablés dans le bar ussellois. « On sortait et en marchant à côté de lui on allait plus vite ! »

S’il y a un « ancien » qui connaît mieux que personne cette aventure ferroviaire, c’est Roger Fraysse. Aujourd’hui président d’Asttre (Association pour la sauvegarde du Viaduc des Rochers-Noirs), l’octogénaire originaire de Soursac a grandi avec le Tacot. « Mon père y a passé toute sa carrière » commence-t-il. « J’étais à bord avant même de naître, dans le ventre de ma mère ! », poursuit celui qui est âgé aujourd’hui de 93 ans. Alors forcément, Roger a 1.000 anecdotes à raconter. « En fait, le Tacot fonctionnait par secteurs », explique celui qui reparcourt le tracé avec nous. « Il y avait beaucoup d’arrêts, même des arrêts facultatifs ! » Outre ceux-ci, on comptait 21 stations dont certaines sont encore bien visibles aujourd’hui : Liginiac, Saint-Hilaire-Luc ou encore Chirac-Bellevue dans sa partie nord. D’ailleurs, c’est à la gare de Chirac que l’on peut voir encore aujourd’hui ce que l’on appelle un « wagon-grue ».

A Chirac, l’ancienne gare du Tacot est entretenue et on peut encore y voir un wagon-grue © Jérémy Truant

À Neuvic-d’Ussel, lorsqu’on a mis le barrage en eau en 1945, il a fallu remonter la ligne plus haut. « Ensuite, la voie passait carrément sur le barrage », précise Roger Fraysse. Le Tacot s’adaptait aussi aux saisons. Il paraît même que, à la saison de la pêche, des arrêts supplémentaires étaient instaurés pour jeter sa ligne !

Après Latronche et Soursac, le train plongeait tranquillement dans la sauvage et encaissée vallée de la Luzège. « On l’entendait de loin », se souvient le président d’Asstre qui entretient et gère aujourd’hui le Jardin de Firmin : un magnifique point de vue sur le Viaduc des Rochers-Noirs où l’on découvre une vingtaine de cépages de vigne anciens, un rucher et des plantes locales. « Firmin était tailleur de pierres et il s’était blessé donc il était revenu dans sa famille à Soursac. Il a créé ce jardin sur ce petit terrain avec ses chèvres, juste devant la voie du Tacot qui ne manquait pas de lui dire bonjour avec un petit coup de sifflet. Firmin est décédé en 1938 », explique Roger Fraysse en admirant le viaduc rénové devant lui. Le rocher situé juste en face offre une vue incroyable sur la viaduc. Des aménagements sont d’ailleurs en cours.

Le jardin de Firmin abrite encore une vingtaine de cépages anciens, des plantes locales et un rucher © Jérémy Truant

Ici, dans cette descente jusqu’au viaduc, on trouve les vestiges les mieux conservés de la ligne : des tunnels à l’ambiance unique ou encore une cuve qui ravitaillait la machine à vapeur en eau. On imagine ici, la vision du Tacot qui s’apprêtait à franchir la vallée de la Luzège à plus de 90 mètres au-dessus de l’eau. Le Viaduc des Rochers-Noirs – qui tire son nom des formations rocheuses sombres qui entourent la vallée – vaudrait à lui seul un article tant il s’agit d’une prouesse architecturale unique. Ce géant d’acier long de 200 mètres repose sur deux pylônes de 40 mètres chacun et une travée centrale suspendue par câbles porteurs — une rareté pour une ligne ferroviaire. Construit entre 1911 et 1913 par l’ingénieur Ferdinand Arnodin, il allie audace technique et élégance aérienne. Chaque passage y était une épreuve pour les passagers… et une prouesse pour la machine. Aujourd’hui silencieux, il garde la mémoire vibrante de ces traversées d’un autre temps.

Le Viaduc des Rochers Noirs est l’ouvrage d’art le plus emblématique de cette épopée du Transcorrézien © Jérémy Truant

Les jours de grands vents, la rame avançait lentement, parfois arrêtée net par les rafales. Il arrivait même que le conducteur demande aux passagers de descendre… pour alléger la machine et franchir le pont à vide, pendant qu’eux traversaient à pied, suspendus au-dessus du vide, le cœur battant. Ensuite, le tramway à vapeur remontait la vallée de la Luzège. À Lafage, on retrouve à nouveau une cuve avec sa citerne surélevée et magnifiquement conservée. Le Tacot prenait des forces pour continuer son périple. Clergoux, Le Mortier ou encore Espagnac … les petites stations se succédaient à un rythme doux. « Une moyenne de 15 km/heure », nous précise Roger Fraysse. Tulle n’était plus très loin après une demi-journée de trajet.

Le Tacot traverse Marcillac-la-Croisille avant de rejoindre Tulle © DR

À Saint-Bonnet-Lavalouze, le Tacot rejoignait une autre ancienne ligne métrique : celle qui reliait Argentat à Uzerche notamment. Mais ça, c’est une autre histoire. « On a beaucoup rigolé de la lenteur du Tacot, mais pendant la Guerre, il était le seul à fonctionner. D’ailleurs je me souviens, des jeunes devaient partir en Allemagne. Ils étaient montés dans le Tacot à Soursac en disant aurevoir à leur famille et finalement, ils étaient sortis un peu plus loin pour rejoindre le maquis corrézien », raconte Roger Fraysse en conclusion. Autant d’histoires dans l’Histoire qui ont fait la légende du fameux Tacot…

Jérémy Truant
Jérémy Truant
Journaliste Actus Limousin

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