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mercredi 5 novembre 2025

La Corrèze, étape d’un voyage pour la vie d’Antoine qui roule pour se libérer de son addiction…

Après une nouvelle rechute dans son addiction au crack – l’une des drogues les plus addictives – qui la suit depuis 20 ans, Antoine Pihen a décidé de reprendre le vélo et de rouler « tant qu’il le faudra ». Parti de Paris, il traverse actuellement la Corrèze, avec pour objectif de rejoindre Bordeaux dans les jours qui viennent. Nous l’avons accueilli le temps d’une soirée-étape à Meymac. 

« Suivez moi. Un_pas_après_lautre_59 ». Sur cette veste orange qu’il ne quitte plus, Antoine Pihen, 37 ans, affiche fièrement son compte Instagram, comme un slogan. Un leitmotiv qu’il garde bien contre lui, comme le combat que ce Lillois mène et a décidé de faire connaître. Ce combat, c’est celui d’une vie, la lutte contre une addiction croisée à l’âge encore fragile de 18 ans, l’une des pires dans le sombre enfer des drogues : le crack, un dérivé de cocaïne.

« Je travaillais dans la restauration, j’ai rencontré un gars qui vendait du crack. Il m’a fait fumer, ça m’a plu tout de suite. J’ai commencé à en prendre, j’étais fêtard, j’ai touché à tout, et j’ai tout testé », raconte-t-il. Tout tester durant deux décennies et pendant lesquelles il a tout caché, aussi. « Mais j’ai quand même fait d’autres choses, j’ai voyagé beaucoup, j’ai appris à cuisiner puis j’ai travaillé dans des grands restaurants », reprend le cuisinier qui admet : « Vers 23 ans, j’ai compris que je ne pouvais plus sortir sans prendre du crack, j’ai tout de suite sû que ça ferait partie de ma vie, que j’allais vivre avec toute ma vie. »

Pourtant, le toxicomane va avoir ce fameux déclic. De retour d’une saison, en plein burn-out, Antoine va faire le pas de trop. « J’avais plus d’argent. J’ai piqué la carte de mon père et j’ai retiré des sous pour acheter du crack. Il a vu le retrait, il m’a appelé, je suis rentré chez lui et j’ai tout dit. » Un long chemin commence. Un chemin aussi mental que physique. « Je fais un peu de vélo avec mon frère et je décide de partir en cure de désintox à Auray en Bretagne à vélo », reprend le cycliste. 1 200 kilomètres en 9 jours puis une cure de six semaines en mars 2025 et le Lillois ne touche plus à la drogue. Jusqu’en septembre dernier où une nouvelle rechute le fait plonger plus bas encore. « Au bout de quelques jours, ma mère voit que ça ne va pas, elle me dit « J’ai envie de mourir quand je te vois comme ça » » Nouveau déclic et Antoine demande à son frère d’amener son vélo resté en Bretagne jusqu’à Paris.

Arrivé à Paris mi-octobre, le fumeur stoppe tout : alcool, crack … et monte sur la selle, avec un objectif en tête : rouler tant qu’il n’y a pas d’autres solutions. « Je me suis dit, je vais jusqu’à Clermont-Ferrand, chez un copain qui peut m’héberger quelques jours. » 700 kilomètres plus tard et quelques zigzags, des nuits chez l’habitant et des nuits en tente, l’aventurier arrive dans la capitale auvergnate, s’arrête quelques jours, puis poursuit.

En parallèle, sur son compte Instagram, il raconte son aventure, son envie de s’en sortir, le tout sans tabou, ni rien cacher. « Hier soir j’ai passé la soirée avec un ami, dans son bar à Clermont, et je n’ai pas bu une seule goutte d’alcool. À quelques rues de là, il y avait du trafic de drogue. Mais zéro tentation. Je ne suis pas alcoolique, mais j’ai décidé d’arrêter l’alcool, parce que c’est lui qui a été le déclencheur de ma rechute dans le crack il y a un mois », peut-on lire par exemple sur l’un de ses posts.

Antoine raconte son aventure sur la page Instagram « un.pas.apres.lautre_59 »

Son récit intéresse puisque son compte affiche plus de 18 000 abonnés. « Depuis que je suis parti, il y a un vrai engouement, je vois les statistiques monter en flèche et j’avoue que ça m’aide aussi à continuer. Ça me fait du bien de recevoir des messages d’encouragement mais mon but c’est aussi de trouver des personnes qui puissent m’aider. J’ai reçu une quinzaine de messages de professionnels qui se proposent de m’aider. Et je sais qu’il y a des gens qui me suivent et qui sont dans la même situation que moi, qui essaient d’arrêter. Maintenant, je ne veux pas les décevoir », promet le sportif.

Sur Instagram, Antoine montre son voyage, les paysages qu’il traverse, ce qu’il ressent aussi. « On m’avait dit que sans les addictions, les sens revenaient, ça m’a fait ça au lever de soleil en haut du Puy-de-Dôme. J’ai ressenti la rosée, la chaleur du soleil levant, les odeurs . » Et s’ils sont une source de motivation, les réseaux sociaux sont aussi le moyen pour lui de chercher un logement pour la nuit d’après. « J’ai trouvé des giroles sur la route, ce soir je te fais une poêlée, t’inquiètes je suis cuisinier de métier », m’a t’il d’ailleurs écrit que je lui ai proposé de l’héberger pour son passage en Corrèze.

Après une nuit de repos, Antoine repart de Meymac dans les premiers rayons de soleil, direction : quelques kilomètres de plus vers la liberté © Jérémy Truant

Arrivé d’Auvergne par le Pont d’Arpiat à Confolent-Port-Dieu, le trentenaire se dit émerveillé par les paysages corréziens. Ussel, Meymac, puis Treignac … Le combattant continue de tracer sa route sur son Gravel, d’enchaîner les kilomètres et le dénivelé, dans les premiers frimas de l’automne.

« Tous les jours je me demande ce que je fais sur mon vélo. Mais je ne m’arrêterai pas de pédaler tant que je n’ai pas le début d’un espoir. »

Rouler sans s’arrêter. Partir tôt le matin, arrêter tard le soir. Comme si poser le pied c’était rechuter. Son prochain objectif : Bordeaux. « Il y a un grand centre d’addictologie là-bas. Je veux y aller », annonce le cycliste qui envisage de rallier le sud de l’Espagne dans un premier temps. « Je veux aller jusqu’au bout de ce qui est faisable à vélo », termine-t-il.

Sur Instagram, il écrit : « Je traverse la France vers l’Espagne, et plus encore s’il faut. Pas pour fuir. Pour chercher. Pour avancer avec des donateurs et des chercheurs. Objectif : trouver une piste concrète pour éteindre le “bouton ON” de l’addiction. Il pleut, il fait froid. Parfois j’ai plus de mains ni de pieds. Mais je suis bien. Vraiment bien. Parce qu’entre deux averses, il y a toujours un rayon qui passe. Et dedans, je vois un début d’espoir. » Tout est dit. S’en sortir en roulant, en cherchant, en rencontrant, voilà la recette – on l’espère bénéfique – qu’entreprend Antoine, après 20 ans sous l’emprise du crack.

Pour le suivre : sur son compte Instagram et sa page Facebook.

Jérémy Truant
Jérémy Truant
Journaliste Actus Limousin

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