Au coeur du Limousin, l’artiste peintre Isabelle Collett cultive des plantes tinctoriales pour élaborer ses peintures végétales

Depuis la fenêtre de son atelier de Saint-Bonnet Briance, Isabelle Collett peut contempler à sa guise son jardin de plantes tinctoriales. La plasticienne fait pousser des végétaux dont elle extrait les couleurs pour peindre la nature.

Dans les oeuvres d’Isabelle Collett émergent arbres, branches, paysages et graminées qui nous transportent dans son univers. Comme une porte ouverte sur des paysages si familiers qu’on finit par ne plus même les voir. Son regard permet d’entrevoir à nouveau ce monde, de se reconnecter à cette terre nourricière qui nous offre tant. Depuis qu’elle a repris ses pinceaux il y a six ans, elle a tout changé. Radicalement. L’artiste plasticienne a remisé ses tubes d’acrylique préférant des peintures végétales qu’elle élabore.

Isabelle Collett élabore désormais elle-même ses peintures végétales à base des baies, des fleurs ou des tiges de plantes tinctoriales / Fleurs de Carthame des teinturiers © Brice Milbergue

« J’ai débuté un jardin tinctorial voilà quatre ans, il fait 12 m² et les plantes cultivées permettent d’avoir des colorants et des pigments pour fabriquer des encres et des aquarelles. J’ai commencé par la persicaire à indigo qui donne le bleu indigo et dont je suis tombée amoureuse. » Elle y fait aussi pousser cosmos sulfureux, oeillets d’Inde, résédas, grémil et garance des teinturiers, carthame, coréopsis, millepertuis et tanaisie.

Du sorgho ou de la carthame pour le rouge, de la persicaire pour l’indigo…

Dans la nature, Isabelle collecte sureau, mûre, sarments de vigne pour le fusain, noyaux d’abricots pour avoir du noir et des galles de chêne. « Je fais les semences sous serre d’abord puis je mets en pleine terre après les gelées » précise-t-elle, « la cueillette s’étale de juin jusqu’à octobre. Certains végétaux sont ensuite séchés, je congèle aussi des baies pour en avoir toute l’année. Les pigments en poudre se conservent très bien mais il faut avoir une hygiène parfaite. Je stérilise les verres pour éviter la prolifération de bactéries. »

Des pigments en poudre, des fleurs séchées, des baies… facile à conserver à condition de veiller à une hygiène parfaite © Brice Milbergue

Pour fabriquer des encres durables, elle ajoute des éléments afin de les stabiliser comme de l’alun de potassium, du bicarbonate de soude, de l’acide citrique ou de l’acétate de fer. Pour fabriquer ce dernier, Isabelle concocte une « soupe de clous » : il faut mettre dans un bocal du vinaigre blanc et des clous rouillés, attendre la réaction et filtrer pour avoir une couleur intense.

La « soupe de clous » permet de stabiliser la peinture végétale / Pour fabriquer de la peinture végétale il faut : des pigments, de l’eau déminéralisée, un plaque de verre et le tour de main ! © Brice Milbergue

La météo de l’été dernier ayant été mauvaise pour les cultures, la récolte a été impactée. « Je n’ai pas eu de réséda, peu de coréopsis et de carthame » se souvient-elle, « j’avais essayé le sorgho du teinturier car sa tige contient un colorant rouge mais rien au final… J’ai gardé ses graines pour réessayer. » L’artiste a besoin de quantités importantes de persicaire à indigo pour animer ses ateliers de fabrication d’encres végétales ainsi que de cosmos et de coréopsis.

De l’Angleterre au Limousin, de peinture à la teinture en passant… par la coiffure !

Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Isabelle Collett a toujours peint. Son père, peintre amateur, lui a transmis une passion dont elle vit maintenant après un parcours de vie « saccadée » comme elle le raconte. Native de Chinon, elle s’est formée à la peinture à l’Atelier Aimé Venel de Tours avant de partir pour l’Angleterre. Vivant de boulots alimentaires, elle reprend les pinceaux et décroche, en 2002, une bourse de l’Art Council of England. Elle peint à l’acrylique ciels et nuages par couches fines. Elle est alors représentée par deux galeries à Birmingham et Wimbledon et ses toiles trouvent leur place chez les collectionneurs anglais.

Elle rencontre son conjoint Mark et trois ans plus tard, en 2005, le couple décide de s’installer en Limousin. « En 2008 c’était la récession en Angleterre et les galeries fermaient, j’ai fait un CAP coiffure. Avec mon mari qui était coiffeur barbier, on a ouvert en 2011 un salon de coiffure dans un bus, l’Hair-bus. On s’installait sur la place des villages. » L’aventure durera quatre ans. Isabelle revient à ses premières amours en changeant tout : technique, style, et types de peintures. « Je voulais un médium moins polluant, plus compatible avec ma façon de voir la vie » explique-t-elle, « ma démarche a bifurqué avec le risque de perdre des collectionneurs, mais heureusement j’en ai gagné d’autres après. »

Si elle s’est fait connaitre en Angleterre avec des peintures de ciels à l’acrylique, Isabelle Collett s’inspire désormais de la nature et peint avec de la peinture végétale © Brice Milbergue / Oeuvres : Isabelle Collett

Inscrite à la Maison des artistes, la plasticienne apprend à fabriquer ses encres et pigments naturels, peaufinant la technique auprès de ceux qu’elle surnomme ses « gourous », à commencer par Jason Logan, auteur de « Make Ink », ouvrage de référence. « Il faut du temps pour maîtriser le procédé » assure-t-elle, « le plus difficile est d’extraire le vert alors qu’il est partout dans la nature. » Son style s’appuie sur la relation entre l’homme, l’art et les cycles de la nature.

« Make Ink » de Jason Logan, ouvrage de référence sur la fabrication d’encre / Graines d’érable sur papier artisanal, fabriqué par Jean-Pierre Gouy, pour la série « Enracinement » © Brice Milbergue / Oeuvre : Isabelle Collett

Sa démarche s’applique jusque dans la qualité du papier artisanal qu’elle utilise pour ses œuvres et qui est fabriqué par Jean-Pierre Gouy, un maître papetier corrézien, même si elle emploie également le papier agave du fabricant allemand Hahnemühle. Enfin, ses tirages numérotés sont imprimés par Graphicolor à Limoges à raison de 50 maximum après prise de vue par un photographe professionnel. « Je voulais du local et travailler plus écolo » revendique-t-elle.

« Il y a des collectionneurs qui me suivent, des gens qui redécouvrent mon travail »

Aujourd’hui, Isabelle Collett est représentée par les galeries Catherine Pennec à Clermont-Ferrand et Bokéhli à Bordeaux. Sa clientèle est française et internationale avec des toiles expédiées aux Etats-Unis, en Angleterre et même jusqu’au Japon. « L’année 2024 a été très bonne ! » confie-t-elle, « Il y a des collectionneurs qui me suivent, des gens qui redécouvrent mon travail, il y a des achats coup de coeur, les réseaux sociaux et les ateliers que j’anime. Mais le créatif, ce n’est que 20 % de mon temps, car aujourd’hui il faut concevoir son activité d’artiste comme une entreprise, trouver sa cible, se faire sa clientèle et développer la communication. Le système a changé car avant des agents se chargeaient de la promotion. Comme on est très nombreux, il faut se démarquer. »

Comme avec ses kits de fabrication d’encres végétales qu’elle a conçus avec trois couleurs au choix, un produit vraiment novateur. Parmi ses projets en 2025, Isabelle Collett accrochera ses toiles à « la Halle aux Grains » de Saint-Junien du 15 mars au 12 avril dans le cadre d’une exposition collective consacrée à la nature. Enfin, son attachement viscéral à la nature se matérialise aussi dans son soutien financier à l’association Francis Hallé pour faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest avec l’objectif de la préserver pour sept siècles. Un engagement fort en faveur de la biodiversité.

Vous pouvez découvrir le travail d’Isabelle Collett sur le site isabellecollett.com ou sur son compte Instagram @isabellecollett_artiste.

Texte : Corinne Mérigaud / Photographies : Brice Milbergue

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