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mardi 11 février 2025

Artisans d’exception : Laurence et Philippe Ratinaud, un couple de joailliers en or spécialisés dans l’émail sur bijoux

Inséparables dans la vie comme au travail, Laurence et Philippe Ratinaud ont développé un savoir-faire précieux qui séduit les maisons de haute joaillerie. Quand bijoux et émail se rencontrent, l’alchimie atteint la perfection.

C’est un « métier-passion » qu’exercent Laurence et Philippe Ratinaud. Un métier qui les a très vite rapprochés. Natif de Limoges, Philippe a fait ses études à la Haute Ecole de Joaillerie de Paris en 1978. Son apprentissage durant trois ans l’a amené dans des ateliers de renom. C’est dans l’un d’eux, chez Poiray, qu’il rencontrera Laurence, sa future épouse, formée à Saint-Amand-Montrond, dans le Cher. Durant treize ans, ils vont travailler à Paris puis une opportunité professionnelle les entraînera aux Philippines où ils resteront deux ans.

En 1992, Philippe Ratinaud revient à Limoges et ouvre un magasin. Le couple crée des bijoux sur commande pour des particuliers. De par son histoire familiale, Philippe a toujours baigné dans l’univers de l’émail. « Mes parents étaient dans le métier, ils avaient deux magasins à Limoges » raconte-t-il, « il y a 25 ans je me suis intéressé à l’émail grand feu sur métal et je me suis formé. » Laurence se passionne tout autant pour cet art du feu.

Avec l’émaillage, « ce n’est jamais gagné d’avance »

Les joailliers ne comptent pas leurs heures pour concevoir et fabriquer des pièces d’exception qui requièrent de multiples compétences techniques. Ils imaginent la pièce, dessinent un croquis qui se matérialise en 3 D grâce à la CAO. Une maquette est ensuite réalisée en résine ou en cire. L’étape de la fonte est spectaculaire pour avoir la pièce en or ou en argent qui sera ensuite émaillée.

Chauffé à près de 1000°C, l’argent prend la place de l’empreinte de cire ou de résine dans le moule en plâtre / La pièce est nettoyée et passée à l’acide, mais le travail est loin d’être terminé ! © Brice Milbergue

L’émail grand feu sur le métal requiert minutie et précision pour en maîtriser les techniques que ce soit le champlevé, le cloisonné, l’émail peint et le plique-à-jour qui donnera de la transparence à la pièce avec un aspect vitrail à la lumière naturelle. Les différentes étapes sont délicates et le résultat pas toujours garanti. De nombreux paramètres entrent en jeu à commencer par le choix de la poudre d‘émail et le temps de cuisson. Deux minutes de trop et la pièce sera trop cuite, bonne à jeter. « Quand on fait un truc on ne sait jamais si ça va tenir ou casser » assure Philippe, « il y a toujours un côté aléatoire, ce n’est jamais gagné d’avance ! »

Une palette de plus de 400 couleurs

L’émaillage d’une pièce est réalisé avec de la poudre de verre colorée que l’on applique au pinceau sur du métal. Cuite à 800 degrés, la poudre prend alors un aspect vitreux plus ou moins translucide et, c’est ce qui rend l’émaillage si complexe, sa couleur finale ne correspond plus à celle d’origine. « Lorsque la poudre refroidit, il y a une différence de dilatation entre l’émail et le métal » explique-t-il, « il faut également prendre en compte la forme et le volume de l’objet ainsi que la composition même de l’émail. Ce n’est donc jamais pareil, il n’y a jamais de routine. » La casse fait partie du métier tout comme la remise en question et la recherche permanente de solutions techniques. Chaque pièce est un nouvelle challenge à relever.

La pièce recouverte de poudre de verre passe au four à 800°C / La même poudre donnera un rendu différent selon le métal et la forme de l’objet © Brice Milbergue

Les joailliers ont confectionné une palette multicolore d’émaux qui leur sert de référence afin de visualiser, sur les différents métaux, le rendu de chaque poudre après cuisson. « Nous faisons beaucoup de recherche et développement en testant les poudres pour connaître leur réaction avant de les appliquer sur une pièce » indique Laurence, « chaque couleur a sa propre réaction et nous en utilisons plus de quatre cents. » La plupart des poudres sont fournies par la société Emaux Soyer basée à Condat-sur-Vienne, le seul fabricant français, d’autres sont importées d’Italie et des Etats-Unis.

Un véritable mur de couleurs avec plus de 400 poudres d’émail différentes / Chaque couleur a sa propre réaction et son rendu final © Brice Milbergue

Un savoir-faire extraordinaire et reconnu

Gage de ce savoir-faire, l’entreprise a été labellisée « Entreprise du Patrimoine Vivant » en 2009, un sésame renouvelé depuis tous les cinq ans. Leurs créations innovantes et audacieuses sont régulièrement distinguées à l’international et la qualité de leur travail leur donne la possibilité de collaborer avec de prestigieuses maisons de joaillerie parisiennes. L’un des exemples les plus marquants de ses collaborations c’est certainement cet automate « Fée Ondine », qui fait partie des objets extraordinaires d’une célèbre maison de la Place Vendôme, pour lequel ils ont réalisé de nombreuses pièces d’émail et de joaillerie. La pièce finale, fruit de la collaboration entre plusieurs artisans d’art, est un véritable chef d’œuvre de la joaillerie française qui aura nécessité… 26 000 heures de travail !

« Aujourd’hui, nous ne sommes que deux en France à avoir ce niveau technique mais il n’y aurait pas la place pour cinquante » estime Philippe Ratinaud, « c’est une super niche et peu importe si on ne connaît pas les clients qui porteront nos pièces. » Et Laurence d’ajouter : « C’est la création qui nous intéresse. Si on ne travaillait pas pour ces grandes maisons, on ne pourrait pas travailler sur des pièces comme celles-là. Leurs studios de création ont des idées et cela nous permet aussi d’évoluer dans nos pièces. »

Le plaisir de créer, la passion

En plus des créations pour de grandes maisons, Laurence et Philippe créent aussi des pièces sur demande pour des particuliers. « Nos clients viennent parfois avec de l’or et des pierres, sinon nous pouvons tout fournir y compris l’idée » précise Philippe, « mais compte tenu de la flambée du prix de l’or, cela devient de plus en plus compliqué. » Les joailliers ont également développé leurs propres collections associant l’or, l’argent, l’émail et la porcelaine en s’inspirant notamment de la nature avec des bagues et colliers en forme d’écorces, de brindilles et de papillons.

Des créations qui allient métaux précieux et émail, et des formes inspirées par la nature © Brice Milbergue

Certaines de leurs créations leur servent à illustrer, bien mieux qu’un long discours, l’étendue de leur savoir-faire. Comme cette bague « El Nido », inspirée de leur séjour aux Philippines, sur laquelle des poissons-clowns en or émaillé d’à peine 5 mm nagent parmi les coraux. « Il faut juste prendre son temps, être précis et on y arrive avec la binoculaire » lance Laurence. Cette pièce a nécessité 120 h de travail et comme ils le soulignent « Cela n’a pas marché du premier coup. ». Le résultat de tant de travail, de maitrise et d’années de pratique est tout simplement spectaculaire !

Gros plan sur un poisson clown de 5 mm de « El Nido » / Or, émail et pierre précieuse pour cette création florale toute en finesse © Brice Milbergue

Voilà une vingtaine d’années, le joaillier a aussi imaginé une bague pour le moins insolite suite à une plaisanterie comme il l’avoue, un large sourire aux lèvres. « L’idée a germé alors que nous étions invités pour les quarante ans d’une amie » raconte-t-il, « je voulais lui faire une bague marrante. Le premier projet était une bague en argent en forme de pot de fleur avec de la mousse de jardin dedans. » L’objet a tellement tapé dans l’oeil des invités qu’au fil des mois et des croquis, un prototype de « bague-gazon » en porcelaine a pris forme avant d’être présentée lors du « Salon Révélations » au Grand-Palais à Paris, en 2015, où elle a fait sensation de par son originalité.

Aujourd’hui, elle est proposée en six finitions sur le site de l’association « Esprit Porcelaine » et livrée avec une pastille de tourbe et un petit sachet de graines. « Pour l’arroser il faut une seringue et pas besoin de tondeuse, un coup de ciseau suffit !» assure Philippe.

Un peu de tourbe, quelques graines de gazon et une goutte d’eau, et cette bague en porcelaine arborera un magnifique gazon ! © Brice Milbergue

Quarante ans après leurs débuts, Laurence et Philippe Ratinaud semblent toujours animés par une passion pour leur métier qui les poussent tous les jours à repousser les limites d’un savoir-faire déjà exceptionnel. Avec de tels artisans pour entretenir sa renommée, « la capitale des Arts du Feu » a de beaux jours devant elle !

Texte : Corinne Mérigaud / Photographies : Brice Milbergue

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