9.7 C
Région Limousin
dimanche 9 mars 2025

Rencontre avec l’un des derniers maitres papetiers : à Saint-Clément, Jean-Pierre Gouy fabrique son papier selon une technique multiséculaire…

À Saint-Clément en Corrèze, Jean-Pierre Gouy perpétue un métier d’art qu’ils sont très peu à exercer encore aujourd’hui : maître papetier. Nous l’avons rencontré dans son atelier, les mains dans l’eau, animé par une passion intacte même après 40 années de pratique. 

« Ne me demandez pas pourquoi je fais ce métier, je serai incapable de vous répondre. Par contre, je sais pourquoi je continue après plus de 40 ans ! » Un tamis dans les mains, devant un grand bac d’eau trouble, Jean-Pierre Gouy pose les bases de la rencontre. Derrière sa longue barbe blanche, l’homme résume ce qui l’anime depuis tant d’années en une phrase : « Je suis maître artisan d’art comme on dit, mais l’un des rares à ne pas fabriquer un produit mais un outil » et c’est donc à d’autres qu’il adviendra de le transformer en produit : livre, carnet, carte, support d’une œuvre d’art… Son domaine à lui c’est le papier ancien, et il est l’un des derniers artisans d’art à le fabriquer.

Mais avant de plonger dans ses techniques, remontons le fil d’une vie ponctuée de rencontres et de « hasard ». Car s’il est Corrézien aujourd’hui, c’est en Charente qu’il a appris le métier de papetier, du côté d’Angoulême en 1977 dans un moulin à eau. « Puis je suis parti en Lorraine avant de m’installer ici à Saint-Clément en 2008 », raconte celui qui cherchait avant tout de l’espace et un lieu où l’on peut « mettre de l’eau par terre ». Et en effet, sous nos pieds, le sol est trempé car tout en discutant, Jean-Pierre Gouy n’a pas arrêté une seconde de répéter les mêmes gestes : verser la pâte à papier dans l’eau, mélanger avec son redable (outil pour brasser), y tremper le tamis pour en ressortir une planche de papier presque déjà solidifiée, puis séparer chacune de ces feuilles par un feutre… « J’utilise des fibres de cellulose neutres comme le chanvre, le coton et le lin et c’est l’eau qui rend solide décrit-il. Il y a 90 % d’eau dans le papier. » 

Etape 1 : verser les ingrédients dans un grand chaudron rempli d’eau et mélanger longtemps, longtemps, longtemps… © Brice Milbergue
« Il n’y pas de secret dans la papeterie, c’est de la cuisine. C’est le bonhomme qui fait le papier. »

Etape 2 : plonger le tamis dans la pâte et égoutter… © Brice Milbergue

Dans l’eau devant lui, des couleurs jaune et mauve ressortent. Ce sont les pétales qui vont décorer le papier. « Là c’est du soucis et du bleuet, on ne peut pas utiliser n’importe quelle fleur. Par exemple, c’est impossible avec des pétales de rose », développe celui qui travaille sur demande, avec des relieurs professionnels ou des particuliers. « Ils m’envoient un élément du papier qu’ils veulent remplacer, puis je leur retourne des échantillons de mes fabrications fac-similés ». Dans le cas particulier devant nous, c’est un grand restaurant parisien qui souhaite réaliser des menus printaniers. D’où les pétales colorés…

Etape 3 : déposer les feuilles sur une surface plane en intercaler un feutre entre chaque feuille, puis passer à la presse… © Brice Milbergue

Derrière lui, la presse hydraulique viendra – comme son nom l’indique – presser les feuilles de 0 à 50 tonnes en moins de deux secondes. Ensuite, le papier est étendu durant deux ou trois jours. « Il vaut mieux que ça sèche lentement. » Un processus long qui rend son papier, son travail, unique.

Etape 4 : laisser sécher patiemment et… hop, admirer le résultat ! © Brice Milbergue

« Le paradis du papier »

Jean-Pierre Gouy s’est spécialisé dans une technique multiséculaire : la production de papiers faits main pour la reliure et la restauration d’ouvrages anciens et fac-similés du XVIème au XIXème siècle. « Cela veut dire que mon papier doit au moins résister plus de 800 ans ! » Un travail qui ne peut se faire qu’à la main car le rendu du papier, avec ses bandes et ses ombrés, est très particulier et quasiment impossible à reproduire en machine. « Ce qui m’intéresse, c’est la transparence du papier. Et regardez là, il y a une ombre autour du fil clair, c’est la marque du papier fait à la main », explique-t-il en passant une feuille à la lumière.

Ces trames et ces ombres sont caractéristiques du papier fabriqué « à l’ancienne », à la main et avec un tamis © Brice Milbergue

En traversant l’atelier, on arrive dans une seconde pièce, le « paradis du papier ». Ici, les feuilles s’entassent par millier. Et toutes semblent avoir une histoire. Il y a là du papier à la bière (réalisé avec de la drêche de brasserie), ici du papier en feuilles de vigne, là-encore du papier en jean. « C’est une élève de l’école d’art de Lausanne qui m’a fait cette demande, j’ai couru chez Emmaüs », sourit l’artiste qui tient à nous montrer un détail technique.

On peut fabriquer du papier avec tout ou presque ! Des jean’s, des vieilles cartes routières, des feuilles de vigne, de l’ortie, et même de la drêche de bière ! Brice Milbergue

Chaque année, Jean-Pierre Gouy produit patiemment, dans son atelier de Saint-Clément, quelques centaines de kilogrammes de papier seulement. Loin du rendement industriel que l’on connaît aujourd’hui, lorsqu’on sait qu’une papeterie comme celle des Vosges produit 40.000 tonnes de papier par an, 50 kilomètres en une heure ! « Il faut dire que le journal L’Est Républicain utilise 40 tonnes de papier chaque jour », informe le maître papetier.

Pour visiter « La maison de l’imprimerie et du papier » à Saint-Clément (Corrèze)

L’artisan ouvre volontiers les portes de son atelier aux visiteurs, petits et grands. Pour plus d’informations et pour entrer dans l’univers de Jean-Pierre Gouy :

Texte : Jérémy Truant / Photographies : Brice Milbergue

Jérémy Truant
Jérémy Truant
Journaliste Actus Limousin

Plus d'articles