C’est un métier qui a traversé les âges, légué par nos ancêtres du Moyen Âge. Dès le XIIe siècle, le métier de malletier s’est développé sans connaître d’interruption. A Saint-Sylvestre, au coeur des Monts d’Ambazac, Franck Tioni incarne cette longue tradition d’artisans du cuir qui ont su s’adapter à toutes les tendances.
Au Moyen Âge, les malletiers ou maletiers (du nom de l’inventeur) fabriquaient de grands coffres en bois avec renforts de cuir pour transporter et stocker des marchandises précieuses et vêtements. Ces malles utilitaires, solides et fonctionnelles étaient commandées par des représentants de la noblesse ou de la bourgeoisie. De la Renaissance au début du XIXe siècle, les malles se font plus décoratives et les matériaux plus qualitatifs (cuir, métal, soie). Elles servent alors à voyager. Leur esthétique s’améliore et s’embellit avec des monogrammes et garnitures en laiton quand elles prendront plus tard le train ou le bateau.

La personnalisation va devenir la norme et les malletiers français vont suivre cette tendance, au milieu du XIXe siècle, à l’image des maisons Moynat, Goyard, Hermès et Louis Vuitton qui vont améliorer le design de leurs malles de luxe. Jadis bombées, elles se font plates pour s’empiler et gagner de la place, et certaines sont spécialement adaptées pour emporter vêtements, chapeaux, chaussures et bijoux. Avec l’avènement de l’automobile, les malles en cuir passent à l’arrière. Au fil des usages et des tendances, les malletiers ont toujours su faire preuve d’ingéniosité pour suivre les modes.
Du compagnonnage à « l’Atelier Franck Tioni » : 40 années dédiées au travail du cuir
Franck Tioni s’inscrit dans cette tradition et perpétue ce savoir-faire auquel il a consacré toute sa carrière. Formé par les Compagnons, il a effectué un Tour de France durant dix ans. Il a ensuite travaillé en Hongrie pour expérimenter de nouvelles techniques avant de rejoindre Weston pendant cinq ans puis d’ouvrir son propre atelier de sellier-maroquinier malletier. « Je suis dans le métier depuis plus de 40 ans et des compagnons sont passés dans l’entreprise » tient-il à préciser. Son activité principale reste la conception et la fabrication d’articles de maroquinerie rigides ou semi rigides, et cousus main, en petite série « pour des grandes maisons mais aussi des petites.» Son atelier est labellisé Entreprise du Patrimoine Vivant depuis quinze ans.

Franck Tioni est plus qu’un « simple fabricant », son travail s’apparente à celui d’un bureau d’études qui est aussi en capacité d’assurer une production de haute qualité. Il accompagne ses clients à chaque étape de création : du maquettage à la fabrication du prototype en carton, du choix des matières premières à la mise en forme et jusqu’à la production de l’objet final. « Nous travaillons avec des designers et disposons d’un bureau d’études en interne » indique-t-il, « à chaque étape, le client peut apporter des modifications. » Dans le petit monde du luxe, où le moindre détail compte, son savoir-faire et son expérience sont unanimement reconnus mais il répond également aux demandes de particuliers qui le sollicitent pour la création de malles ou d’articles de maroquinerie sur-mesure (sacs, fourreaux, besaces, porte-feuilles, porte-cartes…).
L’art du « cousu main » et des peaux de grande qualité
Au-delà de son expérience et de sa capacité à s’adapter à toutes les demandes de ses clients, ce qui fait aussi la spécificité de l’atelier de Franck Tioni c’est bien sûr son savoir-faire et l’incroyable qualité de sa production. Le sellier et ses employés utilisent encore des techniques traditionnelles pour confectionner des objets de maroquinerie souvent en une seule pièce et entièrement cousus à la main. Cela prend bien sûr beaucoup plus de temps qu’avec une machine, ou en utilisant de la colle, mais la double-couture garantit un rendu parfait et une résistance à toute épreuve.

Pour s’assurer de la qualité du produit fini, Frank Tioni sélectionne des peaux de vache de grande qualité produites par tannage végétal mais pas exclusivement. Il se fournit essentiellement auprès des tanneries De Chamont (Dordogne), Bastin (Saint-Léonard de Noblat) et Masure (Belgique). Il valorise au maximum les chutes de cuir, comme la partie brut à l’arrière. Selon les demandes des clients, il utilise aussi des cuirs de veau, d’agneau, de chèvre et d‘autruche et parfois des cuirs de lézard et crocodile mais en quantité restreinte. « Cela me dérange car les crocodiles ne sont élevés que pour leur peau » remarque-t-il, « ce n’est pas le cas des vaches ou des autruches. » L’emploi de matières originales comme la feuille de pierre ou le titane permet à l’entreprise de se démarquer dans un secteur du luxe en quête de nouveaux matériaux.

Les malles et mallettes de Franck Tioni ou l’art de concevoir des écrins sur-mesure
Ses malles, mallettes et attachés case sur mesure répondent aux exigences de clients prestigieux à l’instar d’une malle haute de 2 m commandée par l’Hôtel Martinez à Cannes et qui est désormais remplie de cigares et de champagnes. « Comme elle était trop haute pour un prototype, nous en avons fabriqué un tiers pour que notre client visualise le produit fini et puisse le modifier » indique Franck Tioni. « La menuiserie a été confiée à un artisan local. Entre 150 et 200 h ont été nécessaires et toutes n’ont pas été comptées. » Franck Tioni avait d’abord réalisé un concept de malle mini bar avec réfrigérateur intégré pour montrer son savoir-faire. « Ce concept a plu au Martinez, qui nous a contacté en direct. » Parmi les réalisations de l’atelier, deux prototypes d’étui pour violon ont été conçus sur mesure pour le violoniste Renaud Capuçon. La troisième version fut la bonne. L’atelier a également réalisé 20 mallettes pour servir d’écrin à la montre 18 CHRO fabriquée par Oméga.

Une bergerie aménagée en atelier
Le natif de Carcassonne a gardé son accent chantant du sud mais c’est en Haute-Vienne qu’il a trouvé son bonheur, à Saint-Sylvestre au coeur des Monts d’Ambazac, d’abord sa maison puis un atelier pour démarrer son activité. « C’était une bergerie et au-dessus, là où aujourd’hui sont entreposées nos peaux, c’était la barge à foin » se souvient-il. La surface de l’atelier a plus que doublé en 2021 suite à un agrandissement de 170 m² qui a permis d’aménager un atelier plus spacieux, un showroom et un quai de chargement. « Pour ce projet à 300 000 euros, la Communauté de communes ELAN et le Département nous ont accordé une aide de 50 000 euros » indique-t-il.

La découpe numérique pour réduire la pénibilité
Une machine de découpe numérique de 80 000 €, subventionnée par la Région à 50%, a pris place dans l’ancienne bergerie depuis maintenant trois ans. Cet équipement a permis de réduire la pénibilité, certaines peaux étant épaisses, lourdes et difficiles à manipuler à la main. Un logiciel 2D sert à créer les modèles. « Nous travaillons maintenant plus à plat grâce à cette machine depuis l’arrivée de nouveaux clients après le Covid » explique l’artisan, « avant nous faisions découper à des collègues de Bordeaux. C’est plus simple maintenant et cela a supprimé les investissements dans les emporte pièce que nous utilisons parfois en fonction des séries à faire. » L’entreprise propose de la prestation en découpe à des clients qui lui envoient leur fichier. « Il y a du potentiel mais je ne veux pas que cela devienne notre activité principale » assure-t-il.

Contact
Site web : atelierfrancktioni.fr
Adresse : 1 Rue des écoles, 87240 Saint-Sylvestre
Téléphone : 05 55 50 28 13



Texte : Corinne Mérigaud / Photographies : Brice Milbergue