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mercredi 13 août 2025

Fondée en 1789, la Distillerie du Centre perpétue le savoir-faire des liquoristes limougeauds et repart à la conquête du Monde avec « La Gauloise »

Fondée en 1789, la Distillerie du Centre a traversé les siècles en conservant une fabrication artisanale de qualité. Dernière survivante d’une activité qui fut autrefois très florissante à Limoges (48 distilleries en 1900 !), elle repart à la conquête des marchés internationaux avec « La Gauloise », et héberge aujourd’hui un petit « Musée des distilleries limougeaudes » consacré à ce pan oublié de l’histoire locale.

C’est une page de l’histoire de Limoges qui ressurgit en franchissant la porte de la « Distillerie du Centre ». Les visiteurs font un bond dans le temps de plus de 160 ans en pénétrant dans ce lieu resté dans son jus. Fondée en 1789, elle est la dernière à perpétuer le savoir-faire des distillateurs liquoristes limougeauds. On connaît mondialement le succès de la porcelaine de Limoges mais on ignore que la fabrication de liqueurs fut florissante de 1780 à 1930. Des recherches récentes ont permis de retrouver cette activité qui a laissé peu de traces dans la mémoire collective.

Une image d’archive de la « Distillerie Maumy, Roux et Luchat de Limoges » qui fabriquait la « Cristal Mandarine » Source : archives.haute-vienne.fr

« En 1900, 48 distilleries exerçaient en même temps à Limoges » raconte Pierre Nouhaud. « Sachant qu’il y avait une cinquantaine d’employés à la Distillerie du Centre, on estime que 2 000 à 2 500 personnes étaient employées au total. Ce nombre a baissé après la 1ère guerre, beaucoup d’hommes ne sont pas revenus et les distilleries n’employaient pas de femmes. Il y avait eu des réquisitions d’alcool pour les soins et les munitions dès 1914. » La distillerie Lacaux frères a arrêté cette année là. Quelques 162 distillateurs liquoristes ont pu être identifiés à Limoges intra-muros. Après la seconde guerre, une dizaine survivront. La Distillerie Chauviret qui produisait le « Cordial orange » très apprécié disparaît en 1973.

Des breuvages aux noms évocateurs

En 1860, la Distillerie du Centre voit grand en faisant construire des locaux sur 3 000 m² Rue de Belfort. Limoges se dotait alors d’un nouveau quartier. Des industriels vont s’y installer comme Haviland, les chaussures Raoul Lalet ou encore la caserne Marceau. La distillerie a été reprise en 1981 par Henry Nouhaud, le père de Pierre, 2ème génération de marchand de vins. Ironie du sort, Pierre est né dans l’immeuble à côté…

En pénétrant dans ce lieu qui est aussi un musée ouvert au public, on découvre des factures, affiches, documents à en tête à la calligraphie soignée. La publicité s’affichait partout, déclinée sur différents objets comme des caisses en bois, mignonnettes, pyrogènes pour frotter les allumettes… prémices du marketing. Chaque artisan liquoriste avait sa recette pour préparer des élixirs aux noms évocateurs : La Jacobine, La Nectarine, La Feuillantine, la Délectine et le rhum Negrita. « Paul Bardinet l’a produit à Limoges jusqu’en 1893, son fils s’est ensuite installé à Bordeaux où le rhum antillais arrivait par bateau » signale-t-il.

Pierre Nouhaud a collecté de nombreux objets publicitaires, affiches et factures d’époque et les expose dans son petit « Musée des distilleries limougeaudes » © Brice Milbergue

La distillerie Nouhaud, un aïeul, proposait « Le Norwege » à base de goudron. Mais rien à voir avec le bitume ! En réalité, il s’agissait de sève de pin de Norvège. « Il était très réputé, ça se buvait en grog tous les jours pour ne pas tomber malade » précise Pierre Nouhaud, « cet ancêtre était installé dans l’ancien magasin Bonnet Sport en face de la Préfecture et à Saint-Léonard. »

Implantée en face de la Préfeture de Limoges, la distillerie Nouhaud Frères fabriquait son « Norwege » à base de sève de pin aussi appelé « goudron » © Source : archives.haute-vienne.fr © Brice Milbergue

Limoges, une position stratégique pour distiller

Limoges fut donc la ville des distilleries. Avec sa localisation centrale sur l’axe Nord-Sud et entre les ports de l’Atlantique et l’Est du pays, la ville était au carrefour des échanges commerciaux et il était donc facile de s’approvisionner en Cognac, en Armagnac, en Rhum, en vins de liqueur, en sucre de canne, en fruits, en plantes,  en épices etc… « L’eau est également pure, d’origine granitique, contrairement au calcaire des terres du Cognac, ce qui est très important pour l’assemblage des liqueurs et apéritifs » précise-t-il, « et les forêts du Limousin fournissaient des chênes pour faire des barriques. Chaque maison employait sûrement un tonnelier. Enfin, Limoges a toujours eu une tradition de produits de grande qualité que ce soit la porcelaine, l’émail, les chaussures et une main d’oeuvre experte et créative. »

Une double distillation pour faire de « l’esprit »

La distillation respecte plusieurs étapes mais chacune est espacée dans le temps. Le distillateur liquoriste distille sur un alambic de 1860. Les gestes sont les mêmes et renvoient à un savoir-faire transmis de génération en génération. « Dans le cucurbite, la partie centrale, on verse 60 à 80 litres d’alcool et un mélange de plantes et d’épices dont la recette reste secrète » insiste-t-il, « le bain marie placé en dessous permet de chauffer l’eau, les vapeurs d’alcool montent et s’évaporent. C’est basé sur la différence de volatilité. L’art du distillateur est de chauffer suffisamment pour que l’alcool prenne bien le parfum des plantes mais pas trop pour que le distillat qui sort soit incolore. Il dispose pour ça d’un outil performant… la main qu’il approche de la partie supérieure, le chapiteau. »

Le mélange de plantes et d’alcool est placé dans le « cucurbite » qui chauffe au bain marie / A la Distillerie du Centre, la chauffe se fait encore au feu de bois © Brice Milbergue

Les vapeurs d’alcool passent par le col de cygne puis dans le réfrigérant pour être refroidies et condensées. On récupère alors « l’esprit », un distillat très concentré en arômes entre 80 et 85°. Il sera utilisé à 2, 3 ou 4 % pour l’assemblage. Le lendemain, une deuxième distillation appelée rectification permet de l’affiner. Il est ensuite stocké et utilisé selon les besoins. L’assemblage qui dure deux jours interviendra quelques mois plus tard en ajoutant un sirop de sucre. « Il n’y a pas de saisonnalité pour distiller mais on évite l’été car ça dégage de la chaleur donc plutôt de la fin d’automne au début du printemps. »

210 barriques de Gauloise au chai

La gamme de la Distillerie du Centre compte une vingtaine de liqueurs et apéritif. La plus ancienne est la « Sève Centrale« , très renommée jadis pour ses propriétés « hygiéniques » et auréolée de plus de 30 médailles à diverses expositions internationales et nationales. Le produit phare aujourd’hui c’est « La Gauloise », verte 48° et jaune 40°, qui représentait 80 % de la production en 2024 soit 40 000 bouteilles. Elle a déjà décroché une quinzaine de médailles au Concours général agricole de Paris depuis 1981. Selon la légende, sa confection remonterait à l’époque où la Gaule était occupée par les Romains et ces derniers, la préférant à l’hydromel, l’aurait baptisée ainsi…« La recette de cet élixir a été retrouvée en 1783 par le liquoriste Requier dans un vieux grimoire et produite 185 ans à Périgueux. » raconte-t-il.

Le liquoriste Requier a décroché de nombreux grand prix internationaux avec sa Gauloise / La Distillerie du Centre fabrique 3 versions de la Gauloise : jaune, verte et le nectar des druides © Brice Milbergue

Des cuvées vieillies 3 à 5 ans en barriques ont été commercialisées. Le meilleur assemblage imaginé par la maison Nouhaud et un savant dosage entre une cuvée vieillie un an associée à une fabrication fraîche. « Le vieillissement est la base de notre développement » révèle-t-il, « nous avons investi dans 210 barriques de seconde main pour stocker La Gauloise. L’objectif est d’en produire 30 à 40 % de plus en 2025, idem en 2026 et 2027 pour atteindre 200 000 bouteilles d’ici 3 à 5 ans. » Un accord conclu avec un intermédiaire lui ouvre les portes de nouveaux marchés à l’international. « On vient d’envoyer plus de 1 000 bouteilles en Autriche, 3 500 partent aujourd’hui aux Etats-Unis et on en attend beaucoup plus car le 2ème semestre est plus important avec les fêtes de Noël. »

Avec plus de 200 barriques dans son chai, Pierre Nouhaud mise son développement sur le vieillissement et espère bien retrouver le niveau de production des distilleries de jadis © Brice Milbergue

La forte progression des ventes de Gauloise a permis d’atteindre un chiffre d’affaires de 600 000 € en 2024 dont 50 % à l’export, la moitié vers les États-Unis. Le prévisionnel est d’un million d’euros pour cette année. Cependant, il est inquiet des conséquences de la taxe Trump sur l’importation d’alcools. « En France, le développement des bars à cocktails a remis au goût du jour toutes les liqueurs françaises » constate-t-il « et il y a une tradition dans le Nord et l’Est. » De quoi trinquer (avec modération) à la santé de cette vieille maison…

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

Musée des Distilleries Limougeaudes

54 rue de Belfort à Limoges / Tél. : 05.55.77.23.57 / Mail : distillerie-du-centre@wanadoo.fr

Visites de groupes sur rendez-vous, du mercredi au samedi de 9h30 à 12h et de 15h à 18h

Site web : www.distillerie-du-centre.fr

Corinne Mérigaud
Corinne Mérigaud
Journaliste Actus Limousin

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