Nous passons 8 heures par jour à dormir soit un tiers de notre vie alors autant avoir une bonne literie pour que nos nuits soient douces ! La société coopérative « Laine et Compagnie » située à Château-Chervix perpétue le savoir-faire des matelassiers d’autrefois.
Fondée en 2001 par Jean-Philippe Rouanne dans le Lot-et-Garonne, l’entreprise « Laine & Compagnie » a été délocalisée en Haute-Vienne en 2004. Cet ancien tondeur professionnel a souhaité remettre au goût du jour ce produit naturel et renouvelable. Longtemps considérée comme un déchet, sans débouché, il a voulu valoriser la laine en circuit court. L’entreprise poursuit son activité avec Sarah Cainaud, qui a pris les rênes de la coopérative en 2023, après avoir avoir travaillé 20 ans avec le gérant. Pour faciliter la transmission, le statut coopératif a été choisi deux ans avant la transmission.

Au fil des ans, « Laine & Compagnie » a développé toute une gamme de matelas, couettes, oreillers, futons et coussins en laine. Si vous cherchez le mouton à cinq pattes, il suffit de pousser la porte de cet atelier pour tester ses produits dans le showroom.

Après un développement constant, l’entreprise s’est retrouvée en redressement judiciaire début 2024, avec une période d’observation d’un an. Le plan de continuation a été validé par le Tribunal de commerce en avril, avec étalement du passif sur dix ans. « Laine & Compagnie » doit désormais reprendre du « poil de la bête » en développant ses marchés pour pérenniser l’activité après l’euphorie de la crise sanitaire. « Durant le Covid, 40 % des Français ont changé leur literie, la demande a augmenté pour les produits en circuit court comme les nôtres et notre carnet de commandes a explosé pendant trois ans » se souvient Sarah Cainaud, « l’atelier était petit, les capacités de production limitées, le gérant a investi dans un second de 300 m² ainsi que dans des tables élévatrices et une aide au capitonnage pour réduire la pénibilité et améliorer les conditions de travail. Il y a eu aussi des embauches, on est monté jusqu’à 11 salariés contre 5 aujourd’hui. »
11 tonnes de laine valorisées par an
« Laine & compagnie » s’approvisionne auprès d’une quarantaine d’éleveurs, formés pour trier la laine dès la tonte. La moitié se situe dans un rayon de 200 km soit 10 tonnes par an. Un tondeur de Loire-Atlantique collecte 5 tonnes par an auprès de 20 éleveurs. Les toisons proviennent majoritairement de races Texel, Suffolk, Vendéen et Charmoise, chacune ayant des caractéristiques spécifiques de longueur de fibres et de gonflant, de volume. Sur les 15 à 18 tonnes de suints collectés, le rendement est de 66 % soit environ 11 tonnes de laine après lavage.

Les matelas, sur-matelas, oreillers, couettes, futons représentent 80 % de l’activité, complétée par méridiennes et coussins. « Nous sommes les seuls en Limousin en matelasserie sur ce marché de niche et cinq ou six en France de la même taille » remarque-t-elle, « mais une communication à grande échelle serait nécessaire pour que les consommateurs reviennent à ce produit. »
Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant en 2012, la coopérative s’est vu renouveler le prestigieux label pour cinq ans malgré un cahier des charges plus exigeant. « Le label est peu connu des particuliers mais à l’international, c’est une belle carte de visite » assure-t-elle même si elle n’exporte pas.
C’est bon pour la santé
Les produits sont confectionnés à la main, le cardage et le nappage sont mécanisés. Le garnissage consiste à créer un mille-feuille de couches de laine cardée et nappée pour constituer le matelas cousu ensuite à l’aide d’une bordeuse à canon. Il faut 23 kg de laine pour un matelas de 140 cm soit la toison d’environ 20 moutons. Un savoir-faire qui justifie le label EPV.


Le bourrelage, la création d’un bourrelet autour, est une option. « Cette opération nécessite 3 h à l’aide d’un carrelet (grande aiguille) ce qui donne de la structure aux matelas et un aspect plus esthétique comme autrefois » signale Marc qui est à la manœuvre. Pour le capitonnage, la dernière étape, les capitons sont cousus à la main en duo et à la verticale depuis l’achat d’un équipement dédié. « Plus on capitonne, plus il y a des points de serrage plus on densifie la laine » précise Marc.

Si les plus de 45 ans constituent toujours l’essentiel de la clientèle, la tendance est au rajeunissement avec l’arrivée d’une nouvelle génération de clients soucieux de réduire leur impact environnemental et qui recherchent des produits plus naturels et produit plus près de chez eux. Les bienfaits de la laine sur la santé ont été quelque peu oubliés. « Nos clients recherchent d’abord un produit naturel pour ses propriétés anallergènes, thermorégulatrices » conclut la gérante, « elle isole du froid l’hiver et du chaud l’été, absorbe l’humidité, c’est plus sec, plus sain et plus confortable. Nos clients cherchent une alternative aux produits pétrochimiques et un savoir-faire ». Et à s’abandonner dans les bras de Morphée.

Sauvée par un influenceur voyageur
Quelques 100 000 € ont été investis dans du matériel et des subventions accordées par la CARSAT (24 000 €), la Région (26 000 €) et l’ADEME (26 000 €). Depuis 2020, le contexte économique se dégradait à cause du conflit ukrainien, entraînant l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat. « L’impact a été extrêmement fort sachant que le budget literie s’élève chez nous entre 1 500 € et 4 000 € » relate-t-elle, « les gens ont différé leurs achats et notre activité a baissé. » L’entreprise qui misait sur les marchés, les foires et son site Internet pour engranger des commandes devait trouver de nouveaux circuits de commercialisation. Elle a renoncé aux marchés « trop coûteux et peu rentables » et plutôt cherché à accroître sa visibilité auprès des clients potentiels.
Jusqu’à l’idée géniale de Jean-Baptiste, l’un des salariés : pourquoi ne pas contacter des influenceurs ? Philippe Douteau qui anime la chaîne « Voyages voyages » sur Youtube leur a répondu. « On a lancé des bouteilles à la mer et certaines ont été ouvertes » raconte-t-elle, « ce vidéaste a été sensible à notre démarche et à nos difficultés. » En août 2024, il réalise un portait de l’entreprise, diffusé deux mois après. Sa communauté composée de camping-caristes et de « vanlifers« , plébiscite le film. Résultat : 40 000 vues ! « On a eu des commandes importantes ce qui a remonté la trésorerie et permis de présenter le plan de continuation en janvier. Cet influenceur a changé le cours de notre histoire.»
Fort de ce succès, des partenariats ont été conclus, cette année, avec six influenceurs de différentes communautés « et cela devrait augmenter dans l’avenir » confie-t-elle. Le piratage du site Internet, voilà un an, a aussi réduit les commandes et brouillé son référencement web. Un problème de taille car le chiffre d’affaires provient à 60 % des commandes en ligne, complété par le bouche à oreille, la clientèle historique et les Journées de la laine à Felletin, le dernier week-end d’octobre.
« Le prévisionnel est de 600 000 € cette année. Si nous avons de nouveaux marchés, il y a aura des embauches à moyen terme » espère la gérante, « l’outil de production n’est pas utilisé à 100 %.» Des contacts sont en cours avec le haut Commissariat au Massif Central. L’objectif est de mutualiser ses moyens avec ses confrères Ardelaine et Laurentlaine afin de décrocher des marchés en matelasserie pour les hébergements collectifs.
Si vous aussi vous êtes sensible à la provenance de vos produits, surtout ceux que vous utilisez 8 heures par jour par nuit, à la sauvegarde des savoir-faire et à l’emploi local , allez faire un tour sur le site laine-et-compagnie.fr ou passez faire un tour au « showroom » à Château-Chervix.
Laine & Compagnie : 51, La Chapelle – 87380 Château-Chervix / 05 55 08 25 68
Texte : Corinne Mérigaud / Photographies : Brice Milbergue