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mercredi 31 décembre 2025

Deux matières, deux savoir-faire : les arts du bois et du tissu s’unissent à Nespouls

Dans leur atelier « Le Bois Dans Tous Ses États », installé à Nespouls, près de Brive, Patrice et Laurence Gouby, un couple d’artisans complémentaires et passionnés conjuguent leurs talents pour (re)donner vie aux meubles.

Deux métiers, une adresse

D’abord salariés chez des artisans de Brive, Patrice et Laurence ont choisi de fonder leur propre entreprise en 2008. Leur secret ? Une complémentarité parfaite. Patrice travaille le bois sous toutes ses formes, tandis que Laurence règne sur l’univers du tissu. « Ensemble, nous avons voulu offrir aux clients la possibilité de créer le meuble dont ils rêvent réellement : du choix du bois jusqu’à la toile qui l’habillera. » Un meuble bancal ? Patrice intervient avec précision. Une assise fatiguée ? Laurence lui redonne une seconde jeunesse.

Le bois dans tous ses états

Dans l’atelier de Patrice, le bois est roi. Ébéniste, il crée pour apporter du confort et sublimer l’intérieur, un art à ne pas confondre avec celui du menuisier, qui façonne fenêtres, portes et parquets. Patrice manipule les essences de bois tel un sommelier présentant ses crus, et il est intarissable pour en expliquer les variétés. Son univers sollicite tous les sens : le toucher permet d’apprécier la douceur et la texture, la vue révèle les nuances des veines naturelles, l’odorat est particulièrement titillé par le bois de cèdre. Même l’ouïe est mise à contribution. Chêne, châtaignier, noyer, hêtre… Chaque essence possède sa personnalité unique.

« Patrice manipule les essences de bois tel un sommelier présentant ses crus, et il est intarissable pour en expliquer les variétés » © Juliette Jouve

Souvent, l’ébéniste va utiliser le bois dont le menuisier n’a pas voulu. Les nœuds, les défauts qui font fuir l’un, sont justement ce que l’autre trouve beau, et recherche. Les planches qui arrivent dans l’atelier proviennent de scieries locales. Soigneusement sélectionnées, elles ne sont jamais travaillées immédiatement. La patience est essentielle : on effectue un pré-débit, et on laisse sécher au minimum une semaine, parfois plusieurs mois selon les pièces. Cette étape garantit la qualité et la stabilité.

Patrice a fait sa formation chez les compagnons à Limoges pendant trois ans. C’est là qu’il a découvert l’art de la marqueterie et le travail du placage, pour lequel on utilise des feuilles de bois de quelques dixièmes de millimètre qui permettent de concevoir de somptueux décors. Le processus est minutieux : superposer quatre ou cinq essences, reproduire le dessin, puis découper délicatement pour créer une œuvre unique.

Patrice a appris l’art de la marqueterie chez les Compagnons © Juliette Jouve

La tapisserie, l’autre passion du duo

De l’autre côté du mur qui sépare les deux univers, Laurence règne sur le textile, et y exerce son art de tapissière avec la même exigence que son mari. Son atelier est un peu comme une clinique pour fauteuils en cours de restauration. Laurence maîtrise toutes les étapes de la rénovation d’un siège : du sanglage, qui constitue l’ossature invisible, en passant par le rembourrage qui apporte le confort, et jusqu’au choix délicat du tissu final qui donnera sa personnalité au meuble. Chaque intervention respecte les techniques traditionnelles tout en s’adaptant aux besoins contemporains.

L’atelier de Laurence est atelier est un peu comme une clinique pour fauteuils en cours de restauration © Juliette Jouve

Son métier, elle l’enseigne tous les lundis à des stagiaires. « Surtout des dames », précise-t-elle. Pourtant, la tapisserie a longtemps été masculine. « Quand j’ai commencé il y a plus de 30 ans, on m’a dit : une femme, ça ne sait pas tendre une corde, ni enfoncer un clou. Je voulais devenir compagnon, mais les femmes n’étaient pas acceptées à cette époque. »

L’écologie dans les fibres

Le métier de tapissier n’a pas attendu la mode du développement durable pour être éco-responsable. « Depuis le 12e siècle, c’est quasiment les mêmes matériaux », affirme Laurence en présentant chanvre, lin, coton, toile de jute, crin végétal ou animal (vache ou cheval). Le crin végétal vient du Maroc, des montagnes du Moyen Atlas précisément, où on le fabrique avec des feuilles délignées, coupées, fendues. Résultat : des fibres solides qui ne se cassent pas. « On le met en première partie, puis on rajoute le crin animal par-dessus. C’est le premier contact sur le siège, c’est plus souple, plus moelleux. »

Depuis le 12ème siècle, les matériaux sont quasiment les mêmes, / le travail sur les ressorts requiert de la force © Juliette Jouve

La fabrication d’un siège est tout un art. Sangles, ressorts cousus à la main, cordes tendues, toile de jute, crin façonné, couture avec des aiguilles courbes nécessitent des doigts musclés. Les ressorts, surtout, demandent de la force.

Sous les sièges, les tapissiers laissent leur signature. « Souvent, je mets mon prénom et la date. Certains écrivent tout un roman, d’autres, aucune mention. C’est amusant parce que quand on dégarnit les sièges, on découvre des petits messages. » Laurence en a trouvé un récemment, de 1851, avec l’adresse du Faubourg Saint-Antoine à Paris. Un fil invisible entre générations d’artisans !

Des métiers exigeants, mais passionnants

L’ébénisterie et la tapisserie sont des métiers qui demandent une formation solide, une patience à toute épreuve et une passion inébranlable. Les journées sont longues, le travail physiquement contraignant, et chaque pièce réclame une attention soutenue. Au-delà du plaisir de la création, les défis sont nombreux : respecter les délais tout en maintenant une qualité irréprochable, trouver les matériaux adaptés, satisfaire des clients aux attentes parfois très précises.

Laurence et Patrice ont pu constater que cette exigence a de quoi déstabiliser les jeunes stagiaires ou les personnes en quête de reconversion professionnelle, qui ont une image idéalisée de cet univers. Pourtant, malgré toutes ces difficultés inhérentes à leurs métiers, ils forment un couple d’artisans heureux et passionnés. L’étincelle dans leurs yeux lorsqu’ils parlent de leur art ne trompe pas : ils n’envisageraient pour rien au monde d’exercer une autre profession.

Dans un coin de l’atelier, un prototype de luminaire en bois attend d’être installé. « À mes heures perdues, je crée, j’invente », sourit Patrice. Même après une journée de travail, il s’amuse encore avec ses planches !

Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site ateliers-gouby.fr

Juliette Jouve Soler
Juliette Jouve Soler
Correspondante Actus Limousin

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