1.6 C
Région Limousin
jeudi 27 novembre 2025

Dans les cuisines de « Inspyration » à Brive, Jérémy Cannesan et son équipe allient gastronomie, locavorisme et cuisine durable

Dans son restaurant « Inspyration », ouvert depuis juin 2021 à Brive-la-Gaillarde, le chef Jérémy Cannesan a fait le choix de proposer un menu unique et construit essentiellement à partir de produits locaux. Un défi audacieux en Corrèze… mais comment s’y prend-il ?

Pas de menu ? Pas de produits transformés ? Pas de stress ? Quand vous poussez la porte de « Inspyration » à Brive, vous n’y allez pas simplement pour manger, vous y allez pour vivre une expérience culinaire et partir à la rencontre de l’univers de Jérémy Cannesan. Un cuisinier qui travaille pour l’amour des produits et des producteurs en leur rendant hommage dans ses plats. Mais quel a été le cheminement de ce jeune chef pour en arriver là ? Je vous emmène dans les coulisses du restaurant pour en apprendre plus !

Jérémy Cannesan, un créatif qui transmet l’émotion dans ses assiettes

« Mon grand-père avait un jardin potager qui faisait six fois la taille de sa maison ! C’était de l’autosuffisance et tout le monde passait des bons moments autour d’un repas ». C’est avant tout cette émotion ressentie durant ses jeunes années en Normandie que Jérémy Cannesan, un jeune chef pétillant et facile d’accès, veut retransmettre à ses clients à travers ses plats. Ça, et l’utilisation de produits locaux qui s’est forcément imposée à lui. « Quand j’ai commencé à faire mes armes en cuisine, je n’ai jamais perdu de vue la raison pour laquelle je voulais faire ce métier en grande mutation à cette époque ».

Au fil de ses jeunes années dans les cuisines des restaurants, Jérémy découvrira que l’utilisation de produits transformés devient monnaie courante, souvent à l’excès. Bien décidé à ouvrir son propre restaurant pour revenir au goût du produit brut, c’est à Brive qu’il jette son dévolu sur une ancienne maison d’habitation, un choix et un emplacement atypique pour un restaurant : « à Brive mais pas au cœur du centre-ville, on ne sait pas si on est en Corrèze ou ailleurs, à la campagne ou en ville. Ça a été le coup de cœur immédiat ! ».

« On ne sait pas si on est en Corrèze ou ailleurs, à la campagne ou en ville… » Jérémy Cannesan a choisi d’ouvrir son restaurant « Inspyration » en 2021, dans une ancienne maison d’habitation hors du centre-ville de Brive © Pauline Sutter

« Je fais ce métier là pour le côté créatif », alors il a naturellement appelé son restaurant « Inspyration » (avec le « y » de Jérémy) et fait le choix d’y proposer, chaque jour, un menu unique. « Quand il n’y a pas forcément ce que je recherche sur les étals des marchés, j’ajuste, je recrée mon plat sur le moment. Je crée tout le temps des plats, même et surtout en dehors du restau, quand je me balade avec mon chien par exemple. » confesse-t-il. L’acte de cuisiner ne l’émoustille plus mais c’est cette gymnastique de l’esprit propre au travail créatif qu’il recherche. Et ce qu’il aime par-dessus tout, c’est jouer avec les codes de la cuisine, en commençant par un « locavorisme » revendiqué qui peut parfois dérouter le client !

L’art d’allier gastronomie, produits locaux et cuisine durable

Pour être certain de transmettre ce goût pour les produits frais qui viennent directement du jardin, Jérémy travaille avec les maraîchers locaux avec lesquels il avait pris contact avant l’ouverture de son restaurant, les samedis matin au marché de Brive. Il pensait alors proposer un menu sur trois mois (un par saison) « mais quand je suis allé voir mes maraîchers avec mon menu, ils m’ont dit qu’ils ne pourraient pas me fournir tel type de légume sur trois mois parce que qui peut prévoir le climat, les récoltes ? ». Finalement l’absence de carte s’est imposée à Jérémy : il pourra ainsi coller parfaitement à la saisonnalité et au climat et laisser libre cours à sa créativité.

Au marché de Brive-la-Gaillarde… Pour concocter son menu unique du jour, Jérémy Cannesan fait avec ce qu’il trouve en fonction de la saison et des aléas climatiques © Pauline Sutter

Vous ne serez donc pas surpris si vous découvrez qu’à « Inspyration », il n’y a pas de chocolat ! Un réel challenge même pour Jérémy : « changer ses habitudes de cuisine ce n’est jamais facile, mais c’est aussi très créatif ! En ce moment on fait un beignet soufflé avec de la bière pour remplacer la levure et un insert de pulpe de patate douce violette. Le tout avec un caramel au beurre salé et du sucre glacé à l’achillée millefeuille ! ». Même les boissons chaudes sont locales et seul le café a encore droit de citer : « le métier va changer c’est sûr et demain nous n’aurons peut-être plus accès à certains types de produit ou alors à des prix délirants ».

Beignet soufflé et garni de pulpe de patate douce violette… où comment se passer de chocolat pour concocter des desserts alléchants ! © Pauline Sutter

Ce « locavorisme » revendiqué pourait pourtant être un choix clivant et interpeler les clients, habitués à avoir le choix au restaurant. Jérémy donc prend le temps d’expliquer sa démarche à ses clients et de les sensibiliser aux impacts environnementaux de son métier. D’autant qu’en terme d’organisation, c’est aussi un gros avantage car il sait exactement les quantités qu’il lui faut, il n’a pas de perte ni de stock et il fait ses courses presque tous les jours, au marché ou directement auprès de ses producteurs. Et cette démarche poussée a séduit le célèbre Guide Michelin qui a décerné un Bib Gourmand à « Inspyration » en 2024 et en 2025 !

Enfin, une cuisine c’est bien sûr des plats mais c’est surtout des humains et Jérémy ne voulait pas reproduire les mêmes schémas : « le temps moyen de travail quand tu es dans la restauration c’est 70h payées 35h. Maintenant, la nouvelle génération n’est plus d’accord. Nous ce qu’on veut c’est avoir une vie à côté, voir nos enfants ». Le jeune chef a donc pris la décision de ne pas ouvrir les soirs de semaine et de fermer le dimanche et le lundi pour garantir un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle à son équipe .

Dans les coulisses d’une cuisine locale

7h au marché de Brive, le samedi matin. Le gel de la nuit avait éprouvé certaines récoltes : « C’est pour ça que j’aime faire le marché. Là j’ai le temps d’échanger, d’être en contact avec la réalité du terrain ». Chaque samedi, Jérémy fait le même tour muni de sa liste. D’abord Simon, son maraîcher en légumes qui craint que ses denrées ne gèlent sur l’étal. Jérémy lui prend du topinambour – les particuliers n’en voudront pas – et du « mesclun » et d’autres denrées habituelles. Nous arrivons ensuite à La Varsoise pour récupérer le fromage, puis nous passons chez ses productrices de pommes préférées pour lesquelles il a une demande particulière.  Il cherche une variété de pommes qui conviendrait pour les tartes tatins de son menu de fin d’année mais sans être trop dans le sucre.  « C’est important d’en discuter avec les productrices, on ne peut pas tout savoir et il y a des gens pour qui c’est le métier. Elles ont de nombreuses variétés, ce serait dommage de se passer de leur connaissance ».

Trouver un moyen d’utiliser les choux-fleurs d’Agathe qui ont un peu pris le gel ou trouver la meilleure variété de pomme pour une tatin… Jérémy consacre un temps précieux à échanger avec ses producteurs © Pauline Sutter

Chez Agathe, Jérémy complète sa liste et se pourvoit en panais et choux de Bruxelles : toujours dans un souci d’aider les producteurs en achetant des denrées que les gens consomment peu. Jérémy récupère également des cagettes de choux-fleurs, ce n’était pas prévu, « mais ils ont pris le gel et elle n’arrivera pas à les vendre. » Nous sommes gelés mais heureux : des beaux produits, de belles couleurs et de belles discussions où j’ai bien senti la connivence de Jérémy avec ses producteurs. Arrivée au restaurant aux alentours de 8h, le reste de l’équipe arrive à 8h30 et la journée commence par un moment de discussion informel, autour des viennoiseries ramenées du marché. Tout le monde se met ensuite au travail, en musique s’il vous plaît : « c’est Marion qui gère la playlist » et ça déménage.

Les légumes achetés sont débactérisés puis conservés au frigo ou préparés directement pour être servis au menu de ce weekend. C’est là que Jérémy me montre des techniques « écolonomiques » pour cuisiner les légumes. La cuisson des choux de Bruxelles par exemple se fait sans eau, à sec avec seulement de l’huile dans le fond du récipient ; le couvercle permettant de garder l’eau de végétation des légumes. La création d’une huile verte avec les verts du poireau illustre des économies d’énergie : les verts de poireaux sont plongés crus dans le mixeur « c’est de la cuisson par rotation : ils vont cuire en étant longuement mixés. » et le résultat c’est une une super huile qui dégage un goût d’agrumes.

Cuire des choux de Bruxelles sans eau ou faire une huile au goût d’agrumes avec le vert des poireaux… Jérémy Cannesan trouve des solutions pour réduire au minimum ses consommations et ses déchets © Pauline Sutter

Des petits gestes qui mis bout à bout donnent de grands résultats, mais c’est surtout dans la gestion des déchets que Jérémy est remarquable : son restaurant, qui accueille 24 personnes par service, fait en une semaine moins de déchets qu’une famille de 4 personnes ! Il utilise au maximum les légumes dans leur entièreté : « je valorise en transformant les pelures de légumes (séchées, poudres, frites), le reste va à mes poules et aux biodéchets de la ville et nous ne sortons la poubelle qu’une fois par semaine. ». C’est de cette manière que Jérémy conçoit son restaurant : en constante évolution pour s’adapter aux contraintes de demain et rester en accord avec ses convictions.

Le métier de chef cuistot évolue, les temps changent avec de nouvelles priorités et Jérémy Cannesan montre que la cuisine française n’est pas figée et qu’elle peut se réinventer. Et comme le « bien manger n’est pas réservé à une élite » vous avez un premier menu à 31 euros et un dernier à 69 euros, des tarifs somme toute raisonnable pour une cuisine gastronomique et résolument locale !

Un restaurant chic mais simple de 24 couverts / Des portraits de producteurs sur les murs © Pauline Sutter

Informations pratiques

Inspyration, 142 avenue du président Henri Queuille, 19100 Brive

Horaires : du mardi au jeudi de 12h à14h et du vendredi au samedi de 12h à 14h et de 19h30 à 21h30

Pauline Sutter
Pauline Sutter
Correspondante Actus Limousin

Plus d'articles