Alain Dupasquier a sauvé de l’oubli le fauteuil en châtaignier « Corbusier », typique de l’artisanat limousin mais renommé bien au-delà…

Au siècle dernier, le fauteuil « Corbusier » trônait aussi bien dans les fermes du Limousin qu’à Paris dans des ateliers d’artistes. Le fabricant de mobilier en châtaignier Alain Dupasquier participe à la sauvegarde de ce patrimoine local qui a fait vivre de nombreuses familles au siècle dernier et dont les secrets de fabrication ont bien failli être perdus à jamais…

Alain Dupasquier a plus d’une corde à son arc. Dans une autre vie, il a été journaliste-reporter d’images pour la chaîne « Demain ! », avant de s’orienter, en 2004, vers un métier artisanal. Au gré des reportages, il avait rencontré des « feuillardiers », ces artisans vanniers traditionnels qui transformaient le châtaignier local en mobilier dans le sud-ouest du département. Son diplôme de sculpteur volume en poche, il mettra deux ans à maîtriser la technique de ses aînés. Il crée son entreprise « Création Châtaignier » et, au fil des ans, invente du mobilier aux formes originales, des chaises, des tabourets, des méridiennes et des fauteuils.

Ancien reporter d’images, Alain Dupasquier s’est orienté vers l’artisanat bois en 2004 et il a créé, au fil des ans, de nombreux éléments de mobilier en bois de châtaigniers… © Création Châtaignier

Mais depuis 3 ans, un autre projet s’est imposé à lui : sauver le fauteuil « Corbusier » (voir encadré) fabriqué jadis par les feuillardiers limousins et qui a bien failli disparaitre à la retraite du vannier Pascal Raffier. Alain Dupasquier était l’homme providentiel pour sauver le fauteuil « Corbusier ». « Certains clients de Pascal Raffier nous ont contactés pour si voir on en fabriquait car le dernier fabricant venait de s’arrêter » se souvient-il, « je ne voulais pas que ce savoir-faire s’arrête. Cinq ans de plus et il aurait disparu. » Depuis trois ans, Alain Dupasquier s’attache à sauvegarder ce savoir-faire et surtout à former la relève dans son nouvel atelier de 70 m² sur les hauteurs d’Aixe-sur-Vienne.

Avec la retraite de Pascal Raffier, les secrets de fabrication du fauteuil « Corbusier » limousin ont bien failli disparaitre ! © Brice Milbergue
Corbusier ou pas Corbusier ?
A l‘origine, les feuillardiers travaillaient dans les taillis, sous leur loge où ils préparaient des feuillards en châtaignier destinés à la tonnellerie. Ils fabriquaient aussi du mobilier notamment le fauteuil qui ne s’appelait pas encore « Corbusier ». Au XXe siècle, quelques artistes de passage en Limousin ont ensuite ramené le fauteuil dans leurs ateliers parisiens. « La peintre Marie Vassilieff l’a ramené dans son atelier à Montmartre où elle recevait Picasso et d’autres artistes, avant qu’ils ne soient célèbres » raconte Stéphanie Peyras, « la designeuse Charlotte Perriand qui travaillait avec l’architecte designer Le Corbusier le lui montra. Ce fauteuil a pris son nom alors qu’il n’en a pas fabriqué. Il a été présenté au Salon Formes Utiles en 1949 puis en 1954 et les commandes sont arrivées. »
Un feuillardier au travail dans sa loge / Fabrication d’un fauteuil « Corbusier » © Paul Colmar
La machine à éclisses a été créée à cette époque pour mécaniser le travail que les feuillardiers faisaient à la main. « La demande de feuillards pour les tonneaux baissa, ils ont alors fabriqué des fauteuils » poursuit-elle. Dans les années 70, il y avait encore une vingtaine de familles qui confectionnaient des fauteuils à La Chapelle-Montbrandeix, Bussière-Galant, Châlus, Dournazac… « Le fauteuil s’est retrouvé dans le film « La piscine » et il est même parti au Maroc dans les bagages d’Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé » assure-t-elle. Le nombre de fabricants va ensuite décliner. « Petit à petit, la transmission du savoir-faire dans les familles s’est arrêtée et il ne resta plus que Pascal et Martine Raffier.»

Une machine à éclisses dénichée… au Havre, sous des ronces !

Fabriquer ce fauteuil traditionnel n’est pas chose facile. La matière première est vivante, les gaulettes (tiges) de diamètres différents et le savoir-faire ne s’est transmis qu’oralement de génération en génération. Pas de PDF à télécharger en un clic ni de vieux grimoires pour livrer les secrets de fabrication. « Il a fallu tout construire pendant trois ans, trouver la machine à éclisses et la remettre en marche. Il y en a moins de dix en France, je l’ai trouvée sous des ronces au Havre, elle date de l’après guerre. L’ancien propriétaire l’avait achetée en Limousin mais ne l’a jamais utilisée. Nous l’avons entièrement refaite, moteur et pièces de mécanique de précision compris. Sans elle, on ne peut pas faire de fauteuils. » La machine sert à découper des lamelles très fines en châtaignier, appelées les éclisses, qui seront tressées pour réaliser le cannage.

La machine à éclisses sert à découper les fines lamelles de châtaigniers qui sont ensuite tressées pour réaliser le cannage © Brice Milbergue

Approvisionnement en circuit court, distribution internationale !

Les gaulettes sont fournies par Cyril Dupré installé à Pageas et « Le petit paysan roux » de Rougnac (Charente). Alain Dupasquier a acquis un taillis de châtaignier à Pageas pour maîtriser ses approvisionnements. « On vient de couper les premiers taillis avec des arbres de 20 à 30 ans, le bois est de bonne qualité » remarque-t-il, « on va faire une coupe à blanc. Le taillis repoussera alors par régénération naturelle et nous achèterons un autre taillis en 2026. » Le châtaignier sèche quelques mois avant d’être utilisé. Les gaulettes passent à l‘étuve 2 à 3 h selon leur taille. Elles deviennent alors flexibles pour la mise en forme et constitueront l’ossature du fauteuil. « On enlève l’écorce en les épluchant comme une banane » indique Stéphanie.

Après quelques heures à l’étuve, l’écorce s’enlève « comme une peau de banane » © Brice Milbergue

« On peut faire le cintrage en les mettant dans les moules pour avoir la forme définitive. » complète l’artisane. Alain Dupasquier a innové en créant des moules, en s’inspirant du travail des porcelainiers… « Maintenant, on est au point car on a imaginé des techniques que les anciens ne connaissaient pas avec des moules qui vont former certaines pièces comme l’accoudoir, le dossier et l’assise » explique-t-il, « avant ils travaillaient « au genou ». Avec les moules, on a toujours la même forme puis on monte à chaud et ça sèche sur le fauteuil. » Pour les pattes arrière, elles sont accrochées trois semaines sur des échelles, le temps de sécher et surtout de prendre leur forme définitive.

Ramollies par la vapeur d’eau, les gaulettes sont flexibles mais attention, il faut allier vitesse et précision pour les courber sans les casser © Brice Milbergue

Pour le montage, il faut respecter différentes étapes, d’abord les pieds avant et arrière puis l’assise. Une planche est fixée dessus sur laquelle seront tressées les éclisses, ces fines lamelles de bois débitées dans le fil du bois. Elles sont découpées puis un cerclage en rotin termine l’assise. Les gaulettes sont posées pour former le dossier « sans agrafes comme avant car elles bougeaient au fil du temps, on met des pointes » signale-t-elle. « Pour la finition, les nœuds sont poncés et le dossier sèche un à deux jours. » Les accoudoirs sont enfin fixés et le dossier est tressé.

Pour le montage, on commence par les pieds, puis l’assise avant de fixer les gaulettes qui supporteront le dossier qui sera enfin tressé… © Brice Milbergue

La production varie entre 300 et 350 exemplaires en moyenne par an qui sont vendus à des revendeurs à savoir La Maison de Commerce à Paris, Bosc Architectes à Saint-Rémy-de-Provence et l’antiquaire belge Axel Vervoordt. L’artisan réfléchit aussi à un projet de vente directe aux particuliers de ses modèles en version écorcée ou non écorcée voire du fauteuil Corbusier.

Former la relève et transmettre le savoir-faire

Stéphanie Peyras a rejoint Alain Dupasquier pour son projet de reconversion. L’ancienne assistante sociale a appris sur le tas à fabriquer les fauteuils Corbusier et les modèles que ce dernier a créés. C’est aussi le cas de Baptiste 38 ans, arrivé en apprentissage à 20 ans, et de Lucas, le nouvel apprenti. « J’ai toujours été manuelle et je voulais changer de métier nous » nous confie-t-elle, « pour ce fauteuil, il n’existe aucun écrit et le savoir-faire se partageait moyennement, il n’y avait pas cette volonté de transmission. Les gens apprenaient les gestes très tôt, comme Martine Raffier qui a commencé à tresser vers l’âge de 5 ans. J’ai mis quelques mois pour sortir des fauteuils esthétiques. Avec les moules, cela permet d’harmoniser les formes même s’il n’y a pas deux fauteuils identiques.»

Formés par Alain Dupasquier, Stéphanie et Lucas vont pouvoir eux-aussi perpétuer un savoir-faire presque oublié © Brice Milbergue

Quant à Lucas, 23 ans, il a fait un stage de 4 mois l’an dernier dans le cadre de sa formation à l’ENSAD de Limoges et il s’est pris de passion pour ce travail artisanal. « Je m’intéressais à l‘architecture des loges de feuillardiers puis on m’a proposé un stage de deux semaines » raconte-t-il, « c’est génial ce qu’on fait, cette méthode de travail. J’ai envie de travailler ce matériau et de m’investir dans cette entreprise. »

Alain Dupasquier aussi envisage de sceller dans le marbre ce savoir-faire afin qu’il perdure. « On est en train de faire un document écrit technique avec toutes les étapes de fabrication du fauteuil qui sera complété par une vidéo. » Des jeunes sont aussi en train de monter un atelier partagé pour fabriquer du mobilier en châtaignier en Dordogne. Des formations y seront dispensées. Deux initiatives qui devraient permettre de sauvegarder cette activité artisanale qui a fait connaître le savoir-faire des feuillardiers bien au-delà de ses frontières !

Pour plus d’information, vous pouvez contacter Alain Dupasquier via le site creationchataignier.com

Corinne Mérigaud
Corinne Mérigaud
Journaliste Actus Limousin
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