4.8 C
Région Limousin
mardi 23 décembre 2025

Dans l’atelier de Céline Cakir, une artiste corrézienne qui peint… sur l’eau !

Céline Cakir a passé son enfance en Turquie, où elle a découvert l’art des marbreurs de papier qui maitrisent « l’ebru », cette technique de peinture née il y a plusieurs siècles qui se pratique… sur l’eau. Nous sommes allé la rencontrer dans son atelier à Malemort pour découvrir cette technique spectaculaire où les couleurs flottent, se déplacent, se transforment avant d’être fixées sur le papier.

Vous tenez votre pinceau au-dessus d’une feuille ? C’est tellement banal ! Changez pour la peinture « ebru » où la feuille devient l’eau ! Céline Cakir, artiste peintre ebru m’a ouvert les portes de son atelier à Malemort pour nous en apprendre plus sur cette technique qu’on croirait presque magique. L’ebru est un art délicat très répandu en Turquie et inscrit depuis 2014 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

L’ebru, Céline et la Turquie

L’ebru trouve ses origines au Japon, au 12e siècle, où l’on déposait alors de l’encre de Chine directement sur l’eau. Au 14e siècle, la route de la soie favorise la circulation des savoirs et la technique migre jusqu’en Turquie où elle y est très vite adoptée et enrichie. Les artistes vont y ajouter de la couleur, et développer de nouveaux outils afin de créer des motifs de plus en plus complexes.

Originaire du Japon, la technique de peindre sur l’eau s’est répandue le long de la Route de la Soie avant de connaitre un fort développement en Turquie © Pauline Sutter

Le mot ebru signifie d’ailleurs « nuage » en référence à la manière dont la couleur atterrit sur l’eau et « papier marbré » car les motifs imitent ceux du marbre. Si en Turquie, la peinture ebru tient une place centrale, en France on la retrouve là où on ne l’attend pas : dans la restauration de livres anciens, sur le revers des couvertures.

Céline, de son prénom turc Sevilay, a grandi en Turquie et fut bercée par le travail de ces marbreurs turcs, de leur art et nourrit très tôt le désir d’en faire son métier. Elle arrive en France à l’âge de 9 ans mais n’osera se former en peinture ebru qu’assez tardivement dans son parcours. Elle termine sa formation en 2019 et crée alors son entreprise, Sevilay Ebru, et obtient en novembre 2025 le label Origine Corrèze : une belle reconnaissance de son travail.

Céline Cahir a créé « Sevliay Ebru » en 2019 et vient d’être labellisée « Origne Corrèze » © Pauline Sutter

Dans son atelier, la peinture ebru s’invite sur tous les supports : papier, toile, tissu, foulards, mobilier. Les motifs sont très organiques, vivants, floraux comme ce plateau avec cette rose ou des choses plus abstraites comme cette petite table avec ces structures rouges qui me font penser à des cellules.

Quand la peinture flotte sur l’eau

Au centre de la pièce, un grand bac d’eau attire immédiatement le regard. Comment peut-on mettre de la peinture sur l’eau ? Céline se place devant et choisit une couleur au hasard : « La première, c’est le fond. Mieux vaut qu’elle soit la plus sombre », explique-t-elle en projetant le pigment à la surface à l’aide de son pinceau. Les couleurs s’y déposent ensuite lentement en cercles concentriques. C’est très contemplatif. D’autres teintes viennent s’ajouter.

Première étape : le fond et quelques gouttes colorées qui se déposent en cercles © Pauline Sutter

Puis, à l’aide d’un stylet, elle étire quelques ronds de peinture pour leur donner la forme qu’elle imagine : un cœur, ou plus complexe, une fleur avec tous ses pétales : « Le but c’est de laisser parler son instinct, de se mettre dans sa bulle et de lâcher prise sur le résultat », confie-t-elle. C’est incroyable comment un motif si précis naît d’un simple rond coloré.

Deuxième étape : à l’aide d’un stylet, Céline dessine des motifs selon son inspiration et ajoute de nouvelles couleurs © Pauline Sutter

Vient alors le moment de poser le papier sur l’eau, délicatement, et de l’en retirer pour voir s’y imprimer notre production aquatique. Il y a quelque chose de magique à voir apparaître l’œuvre d’art sur le papier comme si, dans l’eau, elle était le négatif de notre photo à venir. La feuille sèche ensuite une trentaine de minutes et c’est prêt à être encadré !

Troisième étape : une feuille est délicatement déposée sur l’eau et la « production aquatique » se transfère dessus © Pauline Sutter
Et voilà le résultat ! © Pauline Sutter

L’eau comme un apaisement

La peinture ebru est une rencontre entre la couleur et l’eau : « On apprend à collaborer avec l’eau », résume Céline et ça n’a rien d’anodin. Longtemps centrée sur la création et la vente de ses œuvres, notamment dans sa boutique éphémère à Turenne, Céline voit son rapport à l’ebru évoluer du jour au lendemain. Une personne entre dans sa boutique, regarde les tableaux et se met à pleurer : « C’est là que j’ai compris que la peinture ebru touchait quelque chose de très profond. Avec l’eau, la peinture parle directement à l’inconscient. »

Dans sa boutique, Céline Cahir expose ses plus belles créations © Pauline Sutter

À partir de ce moment, Céline décide de transmettre autant que de créer, et commence à proposer des ateliers, notamment en EHPAD. Les participants s’apaisent, se concentrent, oublient le temps et parfois même la douleur. Elle intervient aussi dans les écoles : « J’adore leur faire découvrir la peinture ebru, ils sont spontanés et émerveillés. » Aujourd’hui, elle veut ouvrir ces ateliers à d’autres publics, notamment en difficulté, pour « apporter de la couleur là où il y en a peu ».

J’ai moi-même testé la peinture ebru. Le geste lent, les couleurs qui flottent à la surface de l’eau et la surprise finale créent une expérience profondément apaisante. Si vous voulez tenter l’expérience, les ateliers de Céline sont proposés en individuel (1h) ou en groupe (2h), au tarif de 20 € par personne, avec de nouvelles dates prévues dès janvier.

Ma première oeuvre en « ebru » ! © Pauline Sutter

Infos pratiques

Sevilay Ebru – 06 67 61 61 36

Atelier au 4 rue Denis Papin 19360 Malemort

 

Pauline Sutter
Pauline Sutter
Correspondante Actus Limousin

A la une

Plus d'articles