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Région Limousin
jeudi 21 novembre 2024

« Pétrole vert » : et si le Limousin se lançait dans la production de bio-carburant ?

Alors que la crise énergétique assombrit l’avenir de la France et que la crise sociale gronde aux abords des pompes à essence, l’INA nous renvoie à une archive de 1979 et aux promesses de la production de bio-carburant à base de… topinambours ! Terre de prédilection de la culture de cette plante, le Limousin pourrait-il devenir le Texas du pétrole vert ?

NDLR : cet article n’est pas une publication scientifique, et ne prend pas en compte le cadre légal de l’utilisation des bio-carburants…

Comme une impression de déjà-vu…

A la fin des années 70, le 2ème choc pétrolier vient secouer le monde industriel et le prix du pétrole augmente de 270% en 2 ans. Devant la hausse du coût de l’énergie, la recherche de solutions de substitution donne lieu à des expérimentations en tout genre. Et notamment, la distillation d’alcool de topinambour et son utilisation comme carburant :

Topinambour, un mal-aimé auquel le Limousin doit pourtant beaucoup

Au début du XVIIème siècle, le navigateur et explorateur Samuel de Champlain ramène en Europe des plans de topinambours qu’il a trouvé au Canada. Cousine du tournesol, cette plante rustique pousse très bien en France et s’invite rapidement sur les tables où son goût fin est très apprécié. Le topinambour sera pourtant supplanté un siècle plus tard par la pomme de terre, plus nourrissante, et sera rétrogradé au rang de plante fourragère pour l’alimentation du bétail.

Un tubercule de topinambour

C’est justement cette utilisation dans l’élevage qui aura une forte incidence sur l’agriculture limousine. En effet, le topinambour affectionne les sols légers et acides et poussent très bien en Limousin. Les éleveurs locaux vont alors pouvoir améliorer l’alimentation des veaux et produire des bêtes bien en chair. La qualité de sa viande et l’ouverture de la ligne de train Lyon-Bordeaux permettra à la race limousine de se faire une place de choix sur les étals du marché de Lyon et contribuera fortement à son succès en France puis dans le monde entier.

Mais la guerre de 39-45 aura raison du topinambour dans le cœur des campagnes. En effet, les allemands réquisitionnaient alors à peu près tout ce qui se mange sauf les topinambours. Ils ont donc constitué le plat unique de bon nombre de repas dans les campagnes pendant la guerre, au point de provoquer une véritable aversion collective qui se transmettra ensuite de générations en générations. Sa production nationale passa de 156 000 hectares en 1939 à 8 600 en 1978…

Du potentiel de l’utilisation du topinambour limousin pour produire du pétrole vert

Le reportage de l’INA nous explique comment fabriquer de l’alcool de topinambour utilisable en tant que « bio-carburant » :

  • on râpe le topinambour,
  • on le laisse fermenter 1 mois,
  • on le distille pour obtenir de l’alcool

Cet alcool peut être ensuite utilisé dans un moteur thermique classique après modification du carburateur. Les performances et la consommation seraient sensiblement les mêmes qu’avec un carburant pétrolier et les rejets dans l’atmosphère bien moins polluants puisqu’ils seraient uniquement constitués de vapeur d’eau… Fantastique !

Et alors si tout le Limousin se lançait dans la production de « pétrole vert », quelle quantité pourrait-on espérer en produire ?

(problème de mathématiques, sortez vos cahiers !)

  • Si la superficie des terres arables en Limousin¹ = 339 632 hectares
  • Si le rendement de la production de topinambour = environ 50 tonnes/hectares
  • Et si le rendement de la distillation d’1 tonne de topinambour = environ 100 litres

Quelle quantité d’alcool de topinambour pourrait-on produire si l’on mobilisait toutes les terres arables des départements de Corrèze, de Creuse et de Haute-Vienne pour y planter exclusivement du topinambour ?

339 632 X 50 X 100 = 1 698 160 000 litres = 1 698 160 m³ d’alcool de topinambour

Quelle proportion cela représente par rapport à la consommation nationale de carburant ?

La consommation de produits pétroliers en France ² s’élevait à 61.8 millions de tonnes en 2020, mais c’était une année particulière avec la pandémie et le confinement qui a paralysé la majorité des français pendant une bonne partie de l’année…

Sur les années précédentes, elle était plutôt de l’ordre de 70 millions de tonnes dont :

  • environ 33 millions de tonnes de gazole, soit 39 millions de m³
  • environ 8 millions de sans plomb 95 et 98, soit 10.6 millions m³

La consommation française de carburant pour le transport était donc de près de 50 millions de m³/an à la fin des années 2020.

Avec son potentiel de 1.6 millions de m³, le Limousin pourrait donc prétendre produire seulement 3% du carburant consommé chaque année en France pour le transport ! Et ceci alors que c’est une terre propice à la culture du topinambour et à la condition d’opter pour une monoculture particulièrement périlleuse pour les sols et particulièrement monotone pour les habitants.

Le Limousin ne représente certes que 1% des habitants du territoire français et il pourrait donc être envisageable de consacrer 1/3 des terres à la production de bio-carburant et de réserver les 2/3 restants aux autres cultures. A cela près que la consommation de carburant nationale prend en compte l’ensemble des transports induits par l’organisation de la société moderne et notamment le transit des marchandises et des produits industriels. Beaucoup de produits sont « importés » en Limousin et la consommation des limousins doit donc être bien supérieure à 1% des 50 millions de m³ annuel consommés en France.

Le bio-carburant pourquoi pas, mais pas sans réduction des consommations

En résumé, si à chaque crise pétrolière le bio-carburant revient dans la lumière, une telle filière ne se créait pas en un claquement de doigt. Et si le Limousin se décidait à se lancer dans la production de matières premières pour la production de bio-carburant, il faudra accepter par la même occasion une certaine monoculture et donc des paysages tout aussi monotones.

Carburant classique ou bio-carburant, il semblerait donc que le salut pour un pays comme la France passe surtout par la réduction de la consommation de carburant et l’optimisation des transports. Si le bon sens nous a jusqu’à présent fait défaut, les cordons de la bourse auront sûrement un plus grand pouvoir de contrainte sur nos habitudes et modes de consommation.

 

¹ source : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/SAANR_1/detail/

² source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2119673

Autres sources :

https://occitanie.chambre-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/Occitanie/076_Inst-Occitanie/Documents/Productions_techniques/Agriculture_biologique/Espace_ressource_bio/Maraichage_bio/ITK-Normandie-Topinambour-2010.pdf

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-monde-vivant/le-topinambour-un-condense-de-paradoxes-6373464

Brice Milbergue
Brice Milbergue
Rédacteur en chef d'Actus Limousin

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