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Région Limousin
dimanche 19 octobre 2025

Au Nord de Limoges, des déchets issus de l’extraction de l’uranium continuent de contaminer l’environnement

A Jouac, au nord de l’ancienne « Division minière de la Crouzille », l’exploitation de la dernière mine d’uranium par Cogema a cessé en 1993. Trente-deux ans plus tard, la « CRIIRAD » procède à des mesures pour connaître l’impact des mines d’uranium sur l’environnement. Des taux de radioactivité anormalement élevés sont encore relevés.

NDLR : nous avons répondu à une invitation de la « Commission de Recherche et d’Informations Indépendantes sur la Radioactivité » (CRIIRAD) à venir suivre ses travaux sur le terrain près des anciens sites d’extraction d’uranium en Haute-Vienne. Cet article rapporte ce que nous avons pu voir au fil d’une visite en compagnie de Bruno Chareyron.

En 1993, l’ingénieur en physique nucléaire Bruno Chareyron a rejoint la CRIIRAD, association créée en 1986 après la catastrophe de Tchernobyl et qui dispose de son propre laboratoire d’analyse de la radioactivité. Cette semaine, il est venu en Haute-Vienne pour montrer que cet héritage radioactif est lourd de conséquences… Il revient sur l’histoire de l’exploitation de l’uranium dans cette zone et l’objectif de la CRRIRAD. « Le but est d’améliorer l’information et la protection des citoyens par rapport à la radioactivité » explique l’ancien directeur du laboratoire, et désormais conseiller scientifique de cette association indépendante.

Le Commissariat à l’Énergie Atomique a exploité à partir de 1949 des mines d‘uranium au nord de Limoges, relayé en 1976 par Cogema jusqu’à l’arrêt de l’exploitation au milieu des années 90. Entre 1949 et 1998, une trentaine de mines ont été exploitées dans le secteur connu sous le nom de « Division minière de la Crouzille« . « Beaucoup de gens ne savaient pas qu’il y a avait des mines à l’époque et même aujourd’hui, c’est très oublié » constate-t-il, « le discours tenu par Cogema était alors l’uranium c’est naturel, donc pas dangereux et en plus on l’enlève puisqu’on extrait le minerai. Ici c’est vrai, il est d‘origine naturel mais ce n’est pas pour cela qu’il n’est pas dangereux. »

Les sites exploités sur le secteur de la Division minière de la Crouzille – Source : Base de données MIMAUSA

Cette exploitation a généré l’extraction de plus de 32 000 tonnes d’uranium mais elle a aussi laissé dans les parages des résidus radioactifs, sous forme de boues ou de sédiments, qui refont régulièrement parler d’eux comme à Bessines-sur-Gartempe.

Des boues très radioactives

Le minerai était traité pour en extraire un concentré, appelé « yellow-cake », qui une fois purifié sert à faire du combustible nucléaire, mais avec, à la clé, des déchets sous forme de boues rougeâtres. « Ce n’était pas considéré comme dangereux, presque pas radioactif » relate Bruno Chareyron, « elles étaient transportées par camions non bâchés à plusieurs endroits dont Lavaugrasse, Le Brugeaud, Bellezanne, Montmassacrot et d’autres. Des boues tombaient sur la route et une famille s’est plaint car elles s’infiltraient et attaquaient la tapisserie. » Des échantillon ont été analysés par la CRRIRAD. « Elles étaient largement radioactives. »

Une fois l’uranium extrait du minerai, il subsiste encore des éléments radioactifs comme il l’a rappelé : « il reste encore 80 % de la radioactivité car l’uranium 238 crée 13 descendants, des métaux lourds radioactifs, du radon 222, un gaz cancérigène, du polonium 210, du plomb 210, du radium 226 qui émettent des radiations bêta, alpha, gamma et en plus un gaz. »

Autour des anciennes mines, des expertises de la CRIIRAD ont démontré qu’il y avait une pollution présente dans l’eau, la terre et les sédiments. Certains sites avaient même été construits sur des résidus de traitement de minerais d’uranium radioactifs, comme une station-service à Bessines, reconvertie en habitation. Les habitants ont été évacués en 2014 et le site déconstruit.

Une radioactivité anormalement élevée sur la route

Aujourd’hui encore, l’impact de cette activité minière est mesurable et Bruno Chareyron veut alerter le public. Sur un site neutre, son radiamètre (un compteur Geiger) affiche 200 coups par seconde. Posé sur le bitume, l’appareil va grimper à 1099, puis 800 au-dessus de la route de Lavaugrasse qui longe d’anciens sites d’extraction… Soit cinq fois supérieur à la moyenne locale.

Sur la route de Lavaugrasse, les mesures sont 5 fois supérieures à la moyenne locale © Corinne Mérigaud

« Cela montre qu’autour des anciennes installations industrielles de Cogema devenu Areva et aujourd’hui Orano, il y a une radioactivité anormalement élevée » annonce-t-il, « soit parce que des remblais radioactifs issus des mines ont été utilisés . Parfois c’est l’eau qui transporte les substances radioactives contenues dans des déchets et dissémine cette contamination aux alentours. Ici on est plutôt sur une problématique de réutilisation de stériles radioactifs pour faire la chaussée, c’est une hypothèse. On a des fossés, par endroits, contaminés par d’anciens écoulements. On peut avoir aussi le rayonnement direct qui vient des stockages des déchets. Il faudrait faire des études approfondies. »

Les usagers de la route de Lavaugrasse à Bessines sont exposés à une radioactivité anormale © Corinne Mérigaud

Le risque sanitaire n’est donc pas à négliger d’après lui. « Les gens qui passent sur la route, même en voiture, sont exposés à une radioactivité anormale, ça reste dans de très faibles doses mais cette radioactivité cumulée augmente les risques de cancer à long terme. Je comprends que dans cette région les gens aient envie d’oublier, aient banalisé ça, mais c’est toujours là. »

Des prairies et des ruisseaux encore contaminés

Selon lui, le danger va perdurer tant que l’impact de ces matières radioactives n’aura pas été pris en compte à sa juste mesure en terme sanitaire et environnemental. « Les stériles, les remblais et les résidus d’extraction vont être radioactifs pendant des milliers d’années et même des milliards d’années pour l’uranium » prévient-il, « cela pose des problèmes d’impact à long terme et, en Limousin, ces impacts ne sont pas correctement appréciés, quantifiés et gérés. »

« Il y a encore des prairies et des ruisseaux contaminés par ces écoulements d’anciens sites. C’est choquant de voir que 32 ans après, on a toujours des problématiques d’exposition des citoyens à la radioactivité. Heureusement, il y a des choses traitées, les pires, comme cette maison très radioactive avec exposition au radon à Bessines mais il a fallu des décennies de temps perdu car les choses n’ont pas été prises à la hauteur. »

Terres radioactives près de l’étang de La Crouzille

Il concède malgré tout que des actions ont bien été menées après les alertes de la CRIIRAD : « Des efforts ont été faits par Orano pour limiter la quantité de radioactivité qui se déverse dans l’étang de La Crouzille, une réserve d’eau potable de la Ville de Limoges mais celle-ci a été obligée de baisser la quantité d’eau de 10 % car malgré les travaux, l’étang reçoit toujours des eaux qui viennent d’anciennes mines sur les bassins versants. Il y a toujours des zones où la terre, aux abords de l‘étang, a accumulé une radioactivité en uranium et en radium importante. Cette terre souillée par les écoulements est un déchet radioactif.  Beaucoup de lieux sont encore impactés par plusieurs décennies d’extraction de l’uranium.»

D’énormes travaux ont été faits pour limiter les transferts entre les anciennes mines et l’étang de la Crouzille mais les terres aux abords de l’étang ont accumulé une radioactivité importante © Corinne Mérigaud

S’il ne remet pas du tout en doute la qualité de l’eau de la Ville de Limoges, « tout à fait dans les normes », il nous rappelle toutefois que c’est le résultat « d’énormes travaux pour limiter des transferts de radioactivité dans l’étang de La Crouzille. Comme toutes les eaux il y a un petit peu de radioactivité, les contrôles montrent qu’elle respecte les normes mais il y a toujours un passif qui est là et en cas de fortes pluies, par exemple, on peut retrouver des transferts plus importants de radioactivité à partir d’anciennes mines. La situation s’est beaucoup améliorée mais elle n’est pas résolue dans la durée. Orano ne sait pas parfaitement traiter les effluents de ces anciennes mines.»

Plus de 2 000 coups par seconde près des anciennes carrières

C’est ce qu’il veut nous montrer au ruisseau des Petites Magnelles, où de l’eau jaillit d’une buse pour se déverser dans le ruisseau en bord de route. Il se situe en aval des anciennes carrières à ciel ouvert de Bellezane où des déchets sont entreposés dans des galeries.

« Un million et demi de tonnes de boues radioactives y ont été déversées » raconte-t-il, « elles sont très radioactives, on les a mesurées à plus de 500 000 Becquerels par kilo (soit 500 Bq/g)¹. Il n’y a aucune étanchéité, les déchets percolent et contaminent les eaux souterraines. Pour gérer ça, Orano a mis en place un confinement hydraulique mais en réalité, il n’y en a pas. La pollution passe dans l’eau, une partie est pompée et traitée dans des bassins et les eaux sont déversées par une buse dans ce ruisseau . Elles s’écoulent dans les prairies et après dans la Gartempe. »

Près des anciennes carrières où ont été déversées les boues radioactives, les mesures s’affolent © Corinne Mérigaud

Au niveau des berges, son appareil dépasse les 2 000 coups/seconde. « Ces terres sont très contaminées, ces écoulements ont transformé ces terres de berges et ces prairies où il y a des vaches en déchets radioactifs et cela nous choque.  Comment se fait-il que ces contaminations soient toujours là, que des animaux puissent paître dans des prairies impactées comme ça ? » Le lanceur d’alerte repart choqué par ces nouvelles mesures….

Pour en savoir plus sur les travaux de Bruno Chareyron, il a récemment publié un livre : « Le nucléaire : une énergie vraiment sans danger ?»

¹ L’Agence Nationale des Déchets Radioactifs classe les déchets nucléaires selon leur durée de vie et leur activité. Pour plus d’informations sur le classement, vous pouvez visiter le site laradioactivite.com.

Corinne Mérigaud
Corinne Mérigaud
Journaliste Actus Limousin

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