24.3 C
Région Limousin
samedi 12 juillet 2025

Direction l’océan ! On a quitté le Limousin sur les flots de la Dordogne : récit d’une aventure de 140 km en canoë-bivouac

Il y a des aventures qui commencent aux portes de chez nous, des petits périples que l’on n’imagine pas tant que l’on ne les vit pas. Alors ça nous a pris, comme ça : une envie de prendre la pagaie comme les gabariers en d’autres temps. Depuis Argentat, en Corrèze, nous avons suivi les flots de la si belle Dordogne en canoë, à la rencontre de ceux qui vivent dans la vallée et la font vivre. On vous embarque avec nous sur un périple fluvial de 140 kilomètres, direction : l’océan (ou presque !).

Mardi 1er juillet – 10 heures. La canicule est arrivée jusqu’ici. Dans les gorges encore resserrées de la Dordogne, à Argentat comme ailleurs, on rase les murs. Le soleil darde ses rayons bouillants sur les quais de la ville Corrézienne. Un peu plus en amont, au club d’Argentat Dordogne Canoë-Kayak, c’est l’effervescence d’un début de saison prometteur. On s’agite, on prépare les canoës avant le grand rush. C’est d’ici que commence notre aventure sur la Dordogne. Nous sommes deux avec à bord de notre canoë type « Old town » – robuste, stable et confortable, idéal pour le bivouac – une tente, deux bidons étanches remplis. Pagaie simple en main, la descente peut commencer.

Si tout va bien, la première journée doit nous emmener jusqu’à Beaulieu-sur-Dordogne, quelque 24 kilomètres plus bas. Pour nos premiers coups de pagaie, comme une introduction au parcours, nous sommes accompagnés de Pieter Paauw, moniteur du club d’Argentat et responsable sportif de la « Dordogne Intégrale » (une course qui a lieu tous les ans au printemps). Bref, un guide parfait pour nous présenter la Dordogne.

Il est un peu plus de onze heures lorsque nous passons sous le Pont Henri IV en centre-ville d’Argentat. Pas encore roi, « Henri de Navarre serait passé par Argentat en 1569 », raconte avec des pincettes notre guide. Ici, la Dordogne s’écoule paisiblement et ce calme est idéal pour un point géographique. La Dordogne, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre au sommet : en haut du Sancy, dans le Puy-de-Dôme, la Dore croise le chemin de la Dogne, une rivière naît et court vers le sud, vers la Corrèze. On la surnomme la « Rivière espérance ». À son arrivée en Limousin, le cours d’eau est retenu par un premier grand mur de béton : le barrage de Bort-les-Orgues. Comme lui, quatre autres vont calmer les ardeurs de la rivière jusqu’à Argentat. La suite de l’aventure Dordogne, nous allons la découvrir ensemble.

Et nous voilà partis sur la Dordogne, à bord de notre bon vieux « Old Town », direction : la mer (enfin presque !) © Caroline Foujanet

Un peu plus bas qu’Argentat, un bruit attire notre oreille. « On passe par le Malpas ? », demande Pieter. Bien sûr qu’on passe par le Malpas. Derrière ce nom étrange, c’est l’histoire des gabariers que l’on entend résonner. Car du XVIIᵉ au XIXᵉ siècle, la Dordogne a été une véritable autoroute fluviale : des hommes partaient de Bort-les-Orgues, Spontour … à bord de ces bateaux à fond plat chargé de bois jusqu’à Libourne et Bordeaux. Le Malpas, c’était donc ce que l’on appelait un mauvais passage. Il y en avait beaucoup dans les hautes gorges, avant la construction des barrages. Le Malpas d’Argentat, lui, est toujours là et nous nous y engageons sans difficulté majeure. Au bord, en ce premier jour de juillet, les surveillants des lieux recrutés par le Sdis de la Corrèze sont entrain de se former. Nous n’aurons pas besoin d’eux, nous continuons notre chemin.

© Caroline Foujanet
La « Malpas d’Argentat », un passage autrefois redouté par les gabariers de la Dordogne © Caroline Foujanet

Après avoir passé la confluence avec la Maronne, rivière classée « Zone naturelle protégée », Pieter nous propose un arrêt dans un immense « contre-courant » sur la gauche. « Ici, j’ai une histoire à vous raconter. À l’époque, un homme, Jean Combe braconnait tranquillement dans la Dordogne. Le seigneur du Pradel au-dessus voulait rendre visite à sa sœur au Chambon mais ne voulait pas faire le détour par l’Hospital et Argentat. Il appelle, en le menaçant, le pauvre braconnier et lui ordonne de tenir la bride de son cheval pour traverser a gué la Dordogne. Jean Combe s’exécute et mène le cheval sur les galets. Peut-être se trompe-t-il de chemin, peut-être le cheval trébuche … En tout cas, tous finissent à l’eau. Le seigneur furieux et trempé bât sans ménagement le pauvre paysan. Vexé, Jean rentre chez lui, prend son fusil et abat le seigneur à la première occasion puis il part se cacher dans les bois de la vallée. Au bout de quelques jours, ses amis le retrouvent pour lui dire qu’il ne craint plus rien. On était le 14 juillet 1789, Jean Combe était devenu un héros ! » Cette histoire, comme tant d’autres, sont racontées avec passion dans le livre « De l’autre côté » de Philippe Marchegay, une autre grand nom de la Dordogne.

Pieter Paauw, notre « guide de luxe », ponctue la descente de quelques anecdotes historiques collectées par Philippe Marchegay dans son livre « De l’autre côté » © Caroline Foujanet

Monceaux-sur-Dordogne, nouvel arrêt pour un autre pan de patrimoine. Juste au-dessus, « Chez Maryse », une bière nous attend. Comme beaucoup le long de la Dordogne, cet établissement est une institution où se rencontrent et se racontent les générations d’hier et d’aujourd’hui. Pieter nous laisse naviguer seuls pour la suite de notre aventure. Première nuit à Beaulieu-sur-Dordogne, récemment labellisé « Plus beaux villages de France ». Il faut dire que l’arrivée dans la ville par les eaux est à couper le souffle. Imaginez, un coucher de soleil d’été sur le bourg et la chapelle des Pénitents qui se reflète dans une eau si lisse qu’on croirait un miroir. C’est décidé, nous dormirons ici.

Mercredi 2 juillet – 9 heures. C’est vrai, le soleil est déjà levé depuis longtemps mais il nous faut respecter les horaires de navigation sur la Dordogne (9h30-18h30 en Corrèze et 9h-18h dans le Lot). Après une « grasse mat’ » de rigueur, les premiers coups de pagaie nous font rapidement sortir de la ville de Beaulieu. La rivière s’élargit, le paysage autour semble plus plat, les lignes droites interminables. Il fait toujours chaud sur la Rivière espérance et des plongeons sont les bienvenus au fil de cette deuxième journée.

Après plusieurs kilomètres, des drapeaux flottent dans l’air chaud rive droite. Ils attirent notre attention. Le camping Magali Plage à Liourdes (toujours en Corrèze) est comme une délivrance. Sa terrasse ombragée nous offre la pause que nous méritions après deux heures de rame sans âme qui vive. Ici, en surplomb de la rivière, il y a des âmes qui vivent bien. Un groupe de jeunes Lillois a visiblement le même programme que nous. « On fait une pause, on descend jusqu’à Vitrac », annoncent-ils. On pensait avoir trouvé des compagnons de route. Spoiler : nous allons les recroiser à plusieurs reprises jusqu’au lendemain avant de les perdre définitivement. Sont-ils arrivés à destination ? Nous n’aurons pas la réponse.

« Faites vous plaisir », un slogan qui collait bien à ces sympathiques lillois dont nous avons malheureusement perdu la trace… © Jérémy Truant

Les derniers kilomètres du jour sont un plaisir. Pour une raison principale : partout dans cette partie de la rivière, les jeunes du coin ont installé des plongeoirs, des plateformes et des lianes pour sauter. On s’arrête, on grimpe, on écoute les conseils : « Faut prendre la corde bien haut et se lancer ! » Ces jeunes Corréziens et Lotois ont trouvé leur petit paradis sur les rives de la Dordogne. Ils bâtissent ici les souvenirs d’un été de jeunesse et font vivre, à leur façon aussi, la vallée.

Des plongeoirs, des plateformes, des lianes… les jeunes du coin ont transformé ce petit coin de la Dordogne en un petit paradis estival © Jérémy Truant

« À Carennac, nous vous conseillons de serrer le plus tôt possible sur la gauche afin de prendre le bras très étroit. Il vous emmène alors au pied du village », avait-on lu sur le roadbook réalisé par l’Office de tourisme de la Vallée de la Dordogne. Très bon conseil, Carennac est un village qui vaut le détour. Le soleil est entrain de tomber. Canoë garé sur le bord, on arpente les ruelles de la ville à la pierre jaune et aux toits de lauze. Pas de doute, nous sommes bien arrivés dans le Périgord. Première nuit lotoise.

Jeudi 3 juillet – 8 h 30. Le son du « zip » de la tente est devenu le réveil quotidien. Une nouvelle journée commence sur les flots de la Dordogne qui est de plus en plus calme. Premiers pas sur les galets. Ce son aussi est devenu quotidien. Les galets blancs sont partout : sur les gravières, sur les plages, dans les mains des gamins qui tentent des ricochets en slalomant entre les bateaux. Cette troisième journée s’annonce rude car notre objectif, c’est d’atteindre Souillac qui se trouve à une quarantaine de kilomètres d’ici. Notre temps est compté et nous optons donc pour un rythme de croisière… soutenu ! Les viaducs défilent au-dessus de nos têtes et bientôt, les premières falaises si caractéristiques de la vallée de la Dordogne apparaissent, à Gluges notamment.

« les premières falaises si caractéristiques de la vallée de la Dordogne apparaissent » © Jérémy Truant

Les paysages ont changé mais les hérons que l’on compte par dizaine au fil du parcours sont toujours présents et surveillent leur zone. En parlant de faune, dans cette vallée classée Biosphère par l’Unesco, les animaux sont omniprésents. Il ne se passe pas une journée sans que des milans nous survolent. Dans l’eau aussi, il paraît que truites, saumons et autres carpes peuplent toujours la rivière. « Il y a des frayères un peu partout », nous avait raconté Pieter le premier jour. D’ailleurs, les pêcheurs à la mouche que l’on croise le long du parcours semblent dans un petit paradis et nous offrent une image d’Épinal comme nous en rêvions.

A l’approche de Souillac, la rivière est large et calme et on peut même se permettre le luxe de manger sur le bateau… © Jérémy Truant

Après un arrêt ravitaillement à Saint-Sozy, on décide que désormais, pour gagner du temps et compte tenu du calme de la rivière, nous mangerons sur le bateau. Une véritable croisière (qui s’amuse). Le passage sous le viaduc de l’A20 est un indice que nous avions repéré : Souillac n’est plus très loin et l’objectif est atteint. 38 kilomètres dans les bras, la tente est montée en deux secondes sur une île au milieu de la Dordogne. La nuit sera rafraîchissante et bercée par le son des crapauds.

Vendredi 4 juillet – 9 heures. Si l’on veut profiter des châteaux et villages que nous promettent le dernier tronçon du parcours, le samedi, il faut encore ramer fort aujourd’hui. Une trentaine de kilomètres à avaler. Le café est donc pris à même l’embarcation, sur le réchaud gaz. C’est dire si la rivière est calme. Les falaises de calcaire bordent à nouveau les rives. La pierre blanche qui semble s’être déposée, couche après couche, offre un spectacle inouï et nous rend si petit face à l’immensité d’une nature dont on doit prendre soin.

Après quelques jours sur la rivière, on prend pleinement conscience de la beauté naturelle qui nous entoure © Jérémy Truant

En d’autres temps plus récents, l’Homme a apporté aussi sa contribution paysagère en accrochant, à flanc de roches, des châteaux qui dominent et impressionnent : celui de La Treyne ou de Montfort pour n’en citer que quelques-uns. C’est d’ailleurs au pied de ce dernier que nous avons choisi de camper, avec quelques tartines de pâté de canard, région oblige. À côté du château de Montfort justement, la roche percée porte bien son nom.

Avant un « bouquet final » grandiose demain au cœur de la vallée des châteaux, nous dénichons un coin de bivouac idyllique entouré de falaises.

Après l’effort, le réconfort… Le charme d’un bivouac dans un cadre idyllique : la plus belle récompense de quelques muscles endoloris ! © Jérémy Truant

Samedi 5 juillet – 9 heures. La tente à moitié ouverte, des canoës défilent devant nous. La journée s’annonce chaude et fréquentée en ce premier jour de vacances scolaires. Deux grandes embarcations ont accosté sur notre plage. « On est les Dragon ladies Toulouse et on descend la Dordogne durant deux jours ! », lancent-elles. Cette association de femmes touchées par un cancer du sein a décidé de relever ce joli défi à bord de ces « Dragon boat ». Nous prenons leur vague.

Touchées par un cancer du sein, les « Dragon Ladies » de Toulouse se sont lancées le défi de descendre la Dordogne durant deux jours © Jérémy Truant

Premier arrêt à Vitrac. En rive droite, les falaises sont toujours là. En rive gauche, une immense base de location de canoës est posée au-dessus de la rivière. Tee-shirt jaune sur le dos, Gilles Ouardi s’approche de la rivière. Il est propriétaire de « Canoë loisirs », base qu’il a créée en 1987. De quelques bateaux à son origine, Canoë loisirs est aujourd’hui arrivé à près d’un millier, et emploie une soixantaine de salariés. C’est le plus « gros » loueur du secteur. La Dordogne, le soixantenaire à la barbe grise bien entretenue la connait très bien, chaque méandre. Il raconte les péripéties sur la rivière, les crues et les sécheresses, les cultures de noyers qui sont venus supplanter celles du tabac il y a quelques décennies, les histoires de gabares et de bacs qui traversent la rivière … L’homme parle de la pêche aussi et de ce que l’on trouve dans les couasnes. « Les couasnes, ce sont les bras morts de la rivière en patois ! » Gilles est plus intarissable que le cours d’eau, dont le niveau l’inquiète d’ailleurs cette année. « Le niveau est déjà bas pour la saison, ça va être compliqué », avance le Périgourdin qui reste serein.

Après des journées très calmes, on retrouve l’affluence et des embarcations variées à l’approche de la « Vallée des cinq châteaux » © Jérémy Truant

Il faut dire que malgré le faible débit, l’affluence est au rendez-vous à Vitrac. Les 16 kilomètres de randonnée dans la « Vallée des cinq châteaux » attire. Des Auvergnats, un groupe de copains venus pour un enterrement de vie de jeune garçon, des familles … La Dordogne a pris des airs d’autoroute, bien loin de l’ambiance plus calme des jours précédents. Au détour d’un virage, la Roque-Gageac apparaît. Le village troglodyte se reflète dans l’eau. Arrêt obligé pour arpenter les petites ruelles dominées par la falaise, pour traverser la bambouseraie et admirer les maisons et la vue magique sur la rivière.

Rien de tel pour se « dégourdir un peu les pattes » qu’une petite grimpette pour aller admirer… la rivière ! 🙂 © Jérémy Truant

On rembarque pour quelques kilomètres jusqu’à voir enfin se dresser devant nous l’immense château de Castelnaud-la-Chapelle. Cet édifice médiéval semble veiller sur la rivière et le pont des dizaines de mètres plus bas. À peine passé, déjà le dernier château du trajet apparaît : celui de Beynac. Lui aussi, posé sur son promontoire rocheux avec son village en contrebas, le Château de Beynac nous invite à remonter le temps.

Le temps justement a filé, comme les 140 kilomètres qui s’achèvent ici en plein cœur du département de la Dordogne. La rivière continue son chemin jusqu’à l’océan. Pour nous, c’est un retour vers sa source. Depuis le Sancy et les gorges corréziennes, les eaux de la Dordogne ne se doutent sûrement pas qu’elles partent pour un voyage extraordinaire. Une aventure faite de paysage, de biodiversité, d’hommes et de femmes qui façonnent cette vallée et en font un voyage incroyable que l’on peut vivre au pas de sa porte. La « Rivière espérance » a tenu toutes ses promesses !

Jérémy Truant
Jérémy Truant
Journaliste Actus Limousin

Plus d'articles