15 C
Région Limousin
samedi 17 mai 2025

Voyage en train le long de la Vézère avec le Pays d’Art et d’histoire, sur les rails du patrimoine corrézien

Un air de départ en vacances flottait devant la gare d’Allassac où ne vingtaine de voyageurs ont embarqué pour une expérience originale : redécouvrir le patrimoine ferroviaire lors d’un aller-retour en train entre Allassac et Uzerche, guidés par Thomas, le médiateur passionné de l’association « Pays d’Art et d’Histoire Vézère Ardoise ».

Une ligne aux multiples prouesses techniques

Construite entre 1899 et 1913, cette ligne de seulement 20 kilomètres compte 18 ouvrages d’art — tunnels et ponts — pour franchir les gorges escarpées de la Vézère. « Pour permettre au train de négocier des virages moins serrés que les méandres de la rivière, il a fallu percer la roche et enjamber les vallées », explique Thomas.

Le guide détaille les étapes de la construction minutieuse des tunnels : du creusement initial à la maçonnerie finale. « Seul le tunnel du Saillant n’est pas maçonné à l’intérieur, car la roche en place — du gneiss — est tellement dure qu’elle garantit la solidité de l’ouvrage », précise-t-il. Cette même caractéristique a d’ailleurs justifié l’implantation du barrage hydroélectrique à proximité.

Des maquettes, des plans… dans sa valise, Thomas a 1000 merveilles pour raconter l’histoire du chemin de fer corrézien © Juliette Jouve Soler

Les nombreux ponts témoignent aussi de l’ingéniosité des constructeurs. Le pont de Pouch et celui de Freyssinet sont rigoureusement identiques : après avoir construit le premier, les ingénieurs ont démonté l’échafaudage en bois pour le réutiliser sur le second, économisant ainsi astucieusement des matériaux.

Les échafaudages du Pont de Pouch ont été réutilisés pour construire celui du Freyssinet © DR

Le 15 décembre 1908, un terrible accident endeuille la ligne. Un train de marchandises perd 38 wagons qui dévalent la pente en sens inverse et entrent en collision avec un train de voyageurs dans le tunnel de Pouch. Le choc est si violent que la locomotive s’est soulevée jusqu’à toucher le sommet du tunnel et a provoqué un brasier. Le bilan est lourd : 15 morts et une ligne coupée pendant plus de deux semaines.

Une révolution économique et sociale

La construction de la ligne a transformé les communes traversées. À Vigeois, la population est ainsi passée de 2500 à 4000 habitants pendant la décennie des travaux. « Des maisons qui hébergeaient une famille en accueillaient quatre ou cinq, et on bâtissait des “cambuses” pour se loger ou faire du commerce », explique le guide.

L’arrivée du train a coïncidé avec la crise du phylloxéra qui a ravagé le vignoble corrézien à partir de 1876. La vigne couvrait alors 17 000 hectares, soit l’équivalent du vignoble alsacien actuel. Mais face à cette catastrophe, le train a permis une reconversion agricole majeure : les paysans ont diversifié leurs productions — arbres fruitiers, petit pois d’Objat, tabac, élevage — et le train leur a ouvert des marchés jusqu’à Paris et même jusqu’à Londres. Pour transformer ces productions, de nouveaux bâtiments ont surgi : des hangars à tabac, des conserveries, des scieries. Mais le chemin de fer apportait aussi, paradoxalement, sa propre concurrence : les automobiles et camions transportés par rail allaient finir par le supplanter.

Le guide évoque l’émergence d’un tourisme ferroviaire, très tôt. Un voyageur participant à la visite témoigne : « Je me souviens d’une époque où le samedi et le dimanche, débarquaient de Brive des pêcheurs en gare d’Estivaux. Les familles pique-niquaient, pêchaient et reprenaient le train le soir pour rentrer à Brive ».

La Résistance sur les rails

Cette ligne a également joué un rôle pendant la Seconde Guerre mondiale. Le fait d’armes le plus remarquable fut le détournement d’un train allemand le 8 août 1944 : « Des résistants et des cheminots ont détourné un convoi chargé d’armes et de vivres de la gare de Brive jusqu’à Ussac, où tout a été déchargé avant l’arrivée des Allemands, sans qu’un seul coup de feu n’ait été tiré », raconte Thomas.

Un écrin de biodiversité, au cœur du patrimoine

Au-delà de son importance historique, ce parcours offre aussi un voyage au cœur d’un écosystème préservé. Les gorges de la Vézère, trop abruptes pour l’agriculture, abritent une faune remarquable : grand rhinolophe, loutre d’Europe et faucon pèlerin y trouvent refuge. Actuellement la visite du barrage du Saillant est d’ailleurs interdite, car des faucons sont en train d’y nicher et leurs œufs ne sont pas encore éclos.

Le grand rhinolophe fait partie des espèces rares et remarquables qui s’abritent dans les gorges de la Vézère © Carl – stock.adobe.com

Lors du voyage retour, on aperçoit furtivement le donjon du château de Comborn, berceau d’une des plus anciennes vicomtés du Bas-Limousin. Bénéficiaire du Loto du patrimoine en 2019, ce site témoigne de l’importance historique de la vallée.

À mesure que le train s’approche de l’arrivée, Thomas partage des anecdotes savoureuses, comme celle des « tacots », ces petites lignes secondaires si lentes « que le chauffeur avait le temps d’aller boire un verre au bistrot et de reprendre le convoi en marche ! » Il explique aussi pourquoi les trains roulent à gauche en France : « c’est en partie parce que les Anglais ont inventé le chemin de fer, mais aussi parce que le chauffeur de la locomotive était placé à gauche. Il devait pouvoir sortir la tête pour observer la voie sans être décapité par un train arrivant en sens inverse ! »

Au terme de ce voyage de deux heures, les visiteurs descendent en gare d’Allassac avec un regard neuf sur le patrimoine ferroviaire local. Cette balade proposée par le Pays d’Art et d’histoire nous rappelle combien cette ligne a été dès ses débuts importante pour le développement économique, social et culturel de tout un territoire.

Pour plus d’informations sur le « Pays d’Art et d’Histoire Vézère Corrèze » et pour l’agenda des prochaines sorties, rendez-vous sur le site vezereardoise.fr

Juliette Jouve Soler
Juliette Jouve Soler
Correspondante Actus Limousin

A la une

Plus d'articles