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vendredi 22 août 2025

Voyage à Meymac-près-Bordeaux, dans l’incroyable aventure des marchands de vin corréziens

Saviez-vous que l’histoire récente de Meymac en Corrèze est intimement liée à celle de Bordeaux ? Qu’on a même rajouté « près-Bordeaux » au nom de cette petite cité de Haute-Corrèze ? Derrière cette appellation, il y a une folle histoire d’hommes, de vin et de prospérité que l’on vous raconte en cette fin d’été. Récit.

Sur la place du bûcher à Meymac, le Château des Moines Larose envoie ses reflets rosés en cette fin de journée. Ses deux tourelles et leurs statues à l’intérieur semblent dominer la ville depuis la nuit des temps. Pourtant il y a à peine 150 ans, la bâtisse n’était pas là. Tout comme les innombrables maisons de marchands de fin qui ont fait la richesse de la petite ville porte du Plateau de Millevaches à la fin du XIXème siècle. Comment Meymac a-t-elle bâti sa renommée de vin de Bordeaux pourtant à 300 kilomètres d’ici ? On remonte le temps.

Le château des Moines Larose sur la place du bûcher à Meymac abrite aujourd’hui le tiers-lieu « AuBeauMillieu » © Brice Milbergue

1868. Les hivers sont rudes sur le Plateau de Millevaches. À cette époque, bon nombre de paysans quittent les terres peu nourricières de la Haute-Corrèze pour aller gagner leur vie ailleurs. Jean Gaye-Bordas, un Meymacois qui ne sait ni lire ni écrire est de ceux-là. Depuis quelques années, l’homme vend des objets – notamment des parapluies – à Bordeaux. En observant qu’un greffier de Pauillac expédie du vin jusqu’à Lille, l’idée lui vient de créer un nouveau métier : colporteur de vin.

S’il ne sait pas écrire, le paysan corrézien sait parler et avait même un certain « bagout ». Jean Gaye-Bordas part dans le nord de la France et en Belgique avec un carnet de notes en poche. Là-haut, celui qu’on appelle aussi « Barlet », pour « petit tonneau », commence un porte-à-porte qui fera sa richesse. Le malin dit être un vigneron qui écoule son stock. Sur un bout de papier, il fait écrire leurs noms aux clients, fait expédier les commandes et encaisse le prix de vente lors du voyage suivant, six mois plus tard. S’il ne fait pas déguster son vin, Jean-Gaye Bordas vante plutôt son appellation (inventée de toute pièce !) : Meymac-près-Bordeaux.

Pour les Belges ou les Lillois, Meymac semble à côté de Bordeaux, l’histoire tient la route. Meymac-près-Bordeaux, nombre de Corréziens voyant le commerce et le mensonge fonctionner vont s’en emparer. Marcel Parinaud, président de l’association Meymac-près-Bordeaux, connaît mieux que personne cette folle épopée. « J’avais un grand-père, un oncle puis de nombreux cousins qui ont été négociants en vin toute leur vie », explique l’auteur qui a notamment écrit Meymac-près-Bordeaux, de la bruyère à la vigne.

Plaque hommage à Jean Gaye-Bordas, inventeur du métier de colporteur de vins et de la vente à crédit © DR

Jusqu’à 400 marchands de vin

Il reprend : « Il y a eu jusqu’à 400 paysans qui partaient, un peu au printemps et à l’automne, vendre du vin de Meymac-près-Bordeaux. » De grandes familles meymacoises font fortune et vont, tout comme Jean-Gaye Bordas, acheter des vignobles et des chais à Libourne et à Bordeaux. Parmi elles, citons notamment les Pécresse à Pauillac, les Moueix, propriétaire encore aujourd’hui de Taillefer à Pomerol et Petrus… Les descendants perpétuent encore aujourd’hui l’activité. L’aventure migratoire est née.

Sur la place de l’hôtel de ville, sur les hauteurs de Meymac, une majestueuse fontaine coule en permanence. C’est d’ici que débutent les visites guidées sur la thématique du négoce de vin proposées aux groupes par Emilie Teillet, guide conférencière à Tourisme Haute-Corrèze. Un départ près de la fontaine « aux lions » fort logique puisqu’elle est aussi intimement liée à celle des marchands de vins. La guide explique : « Elle a été inaugurée en 1907 par le maire Arthur Delmas, aussi négociant en vins en hommage à ces marchands. À l’époque, il y avait un petit panneau qui indiquait « Longtemps cette fontaine coulera, le souvenir de Delmas restera.” »

La fontaine « aux lions » érigée en 1907 en hommage aux marchands de vins de Meymac © Jérémy Truant

Des traces de Meymac-près-Bordeaux, il en existe partout dans la ville. L’association des Amis de Meymac-près-Bordeaux a même créé un circuit recensant les nombreuses maisons bourgeoises aux allures de châteaux qui ont fleuri avec ce riche commerce. « Des petits panneaux sont installés sur les portails pour que l’on puisse identifier celui qui a construit la maison », explique Marcel Parinaud. Outre Meymac, des maisons remarquables sont aussi à découvrir de l’extérieur à Combressol, Maussac, Davignac, Ambrugeat ou Saint-Sulpice-les-Bois … Le restaurant Chez Françoise, institution Meymacoise, garde lui aussi de fortes attaches à l’histoire vigneronne. Sa cave abrite les plus grands vins de la région.

Des petits panneaux installés près des nombreuses maisons bourgeoises de Meymac raconte un peu l’histoire des marchands de vins fortunés © Jérémy Truant

Terminons ce voyage par où nous l’avons commencé : devant le Château des Moines Larose (devenu aujourd’hui le tiers-lieu Au Beau Millieu). La guide conférencière Emilie Teillet reprend : « Ayant fait fortune, Jean Gaye-Bordas achète ce terrain à côté de l’abbaye Saint-André et y fait construire cette grande maison qu’il appelle « Château », pour rappeler les châteaux de Bordeaux, « des moines » parce qu’il est dans la continuité du cloître et « Larose » pour rappeler la teinte rosée du bâtiment. » Une étiquette dont il se servira pour ses bouteilles.

Comment découvrir l’histoire de Meymac-près-Bordeaux sur place ?

Le livret Meymac-près-Bordeaux est disponible au bureau d’information touristique de Meymac. Pour les visites et tout renseignement, sur le site de Tourisme Haute-Corrèze.

L’association des Amis de Meymac-près-Bordeaux a également crée l’Espace Jean Gaye-Bordas, un musée qui retrace l’histoire de ces négociants situé dans l’espace culturel Clau del Pais, place de l’église et ouvert toute l’année.

Un éco-musée intitulé Le Chai des Moines Larose, au 2 sente d’Audy, est aussi ouvert sur rendez-vous.

Reconstitution d’un bureau de négociant en vin à l’écomusée « Chai des Moines Larose » © Tourisme Haute-Corrèze
Jérémy Truant
Jérémy Truant
Journaliste Actus Limousin

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