Entre privilège et coquetterie, retour sur l’étonnante histoire des colombiers et sur leur présence en Limousin…

Le « Loto du Patrimoine » 2024 vient d’annoncer ses lauréats départementaux et en Limousin on retrouve deux « pigeonniers » parmi les trois projets sélectionnés. Une bonne occasion de revenir sur l’histoire de ces étonnantes constructions ô combien utiles et prestigieuses en d’autres temps.

Chaque année, l’annonce des lauréats du « Loto du Patrimoine » est l’occasion de découvrir des lieux étonnants, souvent inconnus du grand public, sur notre territoire. Les heureux élus vont ainsi recevoir un coup de pouce financier bienvenu de la « Mission Patrimoine » pour se refaire une beauté et continuer à traverser l’Histoire en défiant les affres du temps.

Les 3 projets limousins sélectionnés pour cette saison 2024 du « Loto du Patrimoine » sont :

  • Le logis du site de la Rivière de Saint-Eloy-les-Tuileries (19210)
  • Un pigeonnier-porche d’Arfeuille-Châtain (23700)
  • Un pigeonnier au Palais-sur-Vienne (87410)

Cette présence de deux pigeonniers parmi les trois lauréats est surprenante et nous avons donc remonté dans le temps pour comprendre un peu mieux la place de ces étonnantes constructions dans l’histoire locale.

Un privilège seigneurial très vite aboli à la Révolution

Si la domestication des pigeons remonte à l’époque néolithique et l’invention de l’agriculture, et que les Romains bâtissaient de grands colombarium percés de niches (les boulins) pour y élever des pigeons, l’apparition des pigeonniers, alors appelés « colombiers » ou « fuies », dans l’Histoire de France remonte au Moyen Âge.

Privilège seigneurial dès Charlemagne, les colombiers devinrent un symbole de prestige et fournissaient, à une époque où la viande était rare, des pigeonneaux très appréciés sur les nobles tables du royaume. Vers 1260, on consommait 400 pigeons par jour dans la maison du Roi de France et 300 dans celle de la Reine !

Cette abondance garantie de viande n’était pas la seule raison de l’usage des colombiers. En effet, la fiente de pigeon (ou « colombine »), riche en azote, était alors l’un des seuls engrais connus et servait de fumure dans les vignobles, les potagers et les vergers. Un colombier était ainsi une double source de profit pour le domaine.

L’intérieur du colombier du château d’Époisses (21) dotés de 3000 boulins et d’une échelle tournante ! © Christophe.FinotTravail personnel, CC BY-SA 2.5, Lien

Le nombre de boulins donnait donc la mesure de la richesse de son propriétaire et certains n’hésitaient pas à ajouter de faux boulins pour paraître mieux lotis. Cette supercherie value parfois des déconvenues aux familles pensant avoir trouvé, à tort, un « bon parti », et serait à l’origine de l’expression « se faire pigeonner ».

Quand, dans la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée Nationale proclame l’abolition du système féodal et des privilèges, elle supprime dès l’article 2 des décrets publiés cette nuit-là, le droit exclusif des pigeonniers, juste après la servitude et la main-morte ! Nombre de pigeonniers seront alors construits au cours du XIXème siècle, en particulier dans les territoires avec des grandes surfaces de cultures, très demandeuses en engrais et suffisamment riches en blé pour nourrir de nombreux volatiles.

Petit retour sur l’histoire des pigeonniers en Limousin

En Limousin, et dans la moitié sud de la France plus globalement, la règle n’était cependant pas la même que dans le reste du Royaume. En effet, ces provinces étaient régies par le droit écrit (par opposition au droit coutumier) et il était donc possible de disposer d’un colombier sur piliers. La construction d’un colombier avec des boulins jusqu’au sol restait cependant sujette au consentement du seigneur et était donc l’apanage des notables.

Dans son inventaire des pigeonniers en Limousin réalisé en 2007-2008, la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) du Limousin a recensé plus de 200 pigeonniers, dont 143 datant d’avant la Révolution française, mais on estime que beaucoup ont disparu.

Localisation des pigeonniers en Limousin, inventaire DRAC 2007-2008 © DRAC du Limousin

Les architectures et les formes des colombiers varient beaucoup selon les régions et, en Limousin, on distingue plusieurs types de colombiers :

  • les colombiers de forme circulaire (127) : véritables « fuies » ou colombiers ronds sur pied, la grande majorité d’entre eux se trouvent en Haute-Vienne, et 1/3 datent d’avant 1789. Séparés du logis principal, ils étaient souvent situés dans la cour de la propriété…
Un colombier rond au lieu-dit « les Guérennes » à Dun-le-Palestel (23)
© Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel – © Département de la Creuse
  • les colombiers de forme carrée (90) :
    • colombier sur piliers : leur construction surélevée les a rendu très fragiles et ils n’en existent plus que 9 dans le Limousin, dont 5 en Corrèze…
    • colombier-porche : constructions de prestige à double-fonction, ils marquaient l’entrée du domaine. Ils sont nombreux en Haute-Vienne (21) et datent souvent d’avant 1789.
    • colombier-tourelle : tourelle carrée dont la partie supérieure abrite un pigeonnier, ces constructions dont l’architecture traduit l’influence de la Dordogne voisine se trouvent essentiellement dans le sud-ouest de la Corrèze…
    • colombier hexagonal : constructions d’apparat, datant du XIXème ou du XXème, ils sont relativement rares (7) et témoignent de l’évolution de la fonction du colombier vers un rôle de coquetterie architecturale.
    • le pont-colombier de Veyrac (photographie principale) est quant à lui un édifice unique en son genre, en France voire en Europe. Construit par Jean de Londeix, propriétaire du manoir de Veyrac, au XVIIème siècle, il était accompagné de son « jumeau » installé de l’autre côté de la voie. Le manoir et le second pont-colombier ont été détruits mais le dernier « survivant » est classé monument historique depuis 1973.

Zoom sur les pigeonniers lauréats du « Loto du Patrimoine »

  • Le pigeonnier-porche du château d’Arfeuille-Châtain

Situé au sud-est de la Creuse, le château d’Arfeuille-Châtain date du XIIème siècle mais a été fortement remanié au XVème et XVIIème siècle… Depuis 2008, il a été transformé en foyer pour adultes handicapés et héberge une trentaine de résidents suffisamment autonomes pour participer à des activités mais ne pouvant pas exercer d’activités professionnelles.

La restauration du pigeonnier-porche, qui menace de s’effondrer, va permettre à l’AJAPH de Creuse de travailler sur un projet d’inclusion autour de la valorisation de ce patrimoine.

Le pigeonnier-porche du château d’Arfeuille-Châtain © APAJH

Coût des travaux : 142 000€ / Consulter la fiche sur le site de la Fondation du Patrimoine

  • L’étonnant pigeonnier du Palais-sur-Vienne

Attenant à un grand corps de ferme sur la commune du Palais-sur-Vienne (dont nous avons déniché la localisation !), cet étonnant pigeonnier ressemble à une petite chapelle. Sa forme et son ornement sont atypiques mais on ne dispose malheureusement d’aucune information sur son histoire et malgré nos recherches auprès des sources locales, il a été impossible d’en déterminer l’année de construction….

Un pigeonnier étonnant que seul les promeneurs locaux connaissent © Fondation du Patrimoine

Coût des travaux : inconnu / Consulter la fiche sur le site de la Fondation du Patrimoine

Sources et références

Pigeonniers et colombiers sur « Maisons Paysannes de France »

Inventaire DRAC Limousin 2007-2008

POP : la plateforme ouverte du patrimoine du Ministère de la Culture

Patrimoine et Inventaire de Nouvelle-Aquitaine

Fondation du Patrimoine

Brice Milbergue
Brice Milbergue
Rédacteur en chef d'Actus Limousin
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