La dentelle dite « poinct de Tulle » fait partie du patrimoine français. La finesse de sa maille, exécutée par des mains expertes, mais souvent âgées, en fait un savoir-faire fragile qui pourrait disparaître si les générations suivantes ne prennent pas la relève. Rencontre avec celles qui se battent pour que ce ne soit pas le cas.
La dentelle corrézienne… à la cour du Roi !
C’est l’historien tulliste Étienne Baluze, qui introduit le « poinct de Tulle » auprès de Louis XIV. Passionné par les savoir-faire de sa région, ce protégé de Colbert (dont il était bibliothécaire) a joué un rôle déterminant dans la promotion de cette dentelle parmi l’élite parisienne. Sa finesse et son élégance en font un accessoire rapidement prisé des dames de la cour, ce qui contribue à son essor. Moins chère que celle d’Alençon, la dentelle de Tulle connaît alors un grand succès et orne jabots et autres collerettes.
Mais la révolution de 1789 signe le déclin du poinct de tulle. Les ateliers ferment au début du XIXème, mais le secret de la dentelle perdure pourtant auprès des religieuses et de certaines familles bourgeoises. La dentelle est relancée à Tulle à la fin de la Première Guerre mondiale par l’atelier des Veuves de Guerre de Mademoiselle Constantin. Entre 1925 et 1935, le poinct de Tulle est récompensé dans diverses expositions, en France et en Belgique.
Malheureusement, les dentellières doivent pourtant cesser leur activité et ne produisent que pour leur entourage. En 1984, sous l’impulsion de la conservatrice du « musée du cloître » de Tulle, est créée l’association « Diffusion et renouveau du poinct de Tulle », dont le but est de faire revivre cette dentelle à l’aiguille et préserver ce patrimoine.
Qu’est-ce qui rend cette dentelle unique ?
Le « poinct de Tulle », se distingue par sa légèreté et sa finesse. Fabriquée à partir de fil de coton, cette dentelle est entièrement exécutée à l’aiguille et à la main, et reconnue pour ses motifs géométriques délicats et sa transparence.
Elle est réalisée sur un réseau-support, lui-même confectionné manuellement. Ce réseau (ou rosel) à mailles carrées, nouées aux quatre angles à l’aide d’une navette (aiguille percée des deux côtés) sert de trame à la broderie. Sa confection à elle seule représente de nombreuses heures de travail, puisqu’un rang de 100 mailles nécessite 15 à 20 minutes environ.
Sur ce réseau, des points de broderie sont alors exécutés à l’aiguille : grossier, picot, rosette, respectueux, point d’esprit, cordonnet, pénitent etc… leurs noms traduisent le fait que ces ouvrages étaient à cette époque souvent effectués par des religieuses. On pique avec la main gauche et on renvoie avec la droite. La position du corps, penché en avant, sollicite beaucoup le dos.
Au fait, le tulle vient-il de Tulle ?
Oui et non ! Le tissu auquel on donne aujourd’hui le nom de « tulle » est d’origine anglaise, mais sa dénomination est empruntée à la ville d’origine de la dentelle de Tulle. Le tulle a été fabriqué pour la première fois en 1809 à Nottingham sous le nom de « twist net ». Il arrivera en France à Calais en 1808, sous le nom de « bobinet-lace » puis de « tulle-bobin » puis tout simplement tulle. Ce terme était en usage en France, et désignait un genre de dentelle très en vogue, la dentelle de Tulle…
Les bonnes fées de la dentelle aujourd’hui
L’association des dentellières
« L’association pour la diffusion et le renouveau du poinct de Tulle », située juste à côté de la cathédrale, est le lieu où se réunissent deux fois par semaine celles qui maîtrisent encore les secrets de cet art fragile. Comme l’explique sa présidente, Annie Monsauret, le but principal de l’association est de transmettre ce savoir-faire aux générations suivantes. Cette retraitée dynamique se désole de la moyenne d’âge élevée des dentellières et regrette que trop peu de personnes osent pousser la porte de l’association, ne sachant pas trop s’il s’agit d’un musée, d’une boutique, ou d’un atelier.
Cette activité est pourtant addictive et réalisée dans un lieu sympathique : il règne dans la boutique un joyeux bavardage qui rend en quelque sorte hommage aux fameuses clampes tullistes ! Ces dames proposent des ateliers les mardis et samedis à un prix très modique et dans l’espace boutique, des petits bijoux ou des porte-clés en poinct de Tulle sont en vente à un prix raisonnable. Leurs ouvrages principaux sont réalisés sur commande : initiales pour baptêmes, coussins pour alliances, croix pour Compostelle, carnets et cadeaux divers…
Plus d’informations sur le site lepoinctdetulle.com
Les trois petits points d’Anouck Everaere
Anouck Evereare est photographe documentaire et raconte les histoires de personnes sous différentes formes, à travers ses clichés et avec poésie. Artiste résidente de la Cour des arts de Tulle pendant plusieurs mois, elle est fascinée par cette dentelle à l’aiguille dont très peu ont la technique aujourd’hui. Dans son exposition, elle rend hommage aux dentellières à travers 12 portraits en couleurs à l’inspiration peinture flamande.
Un ouvrage en poinct de Tulle, réalisé par la personne et cousu sur chaque photo, symbolise son rapport à la dentelle. Elle a ensuite ouvert son studio à de jeunes tullistes, pour montrer que l’on peut trouver une modernité dans cette dentelle. 17 d’entre eux ont posé avec des ouvrages en dentelle en couleurs.
Ses oeuvres sont exposées jusqu’au 2 novembre à la Cour des arts, au point G, et à la Cité de l’accordéon et des patrimoines de Tulle.
Sylvie Velghe, la dentellière entrepreneuse
Issue d’une famille du Nord de la France, Sylvie a baigné dès l’enfance dans la couture, en observant le plaisir que prenait sa mère à confectionner des vêtements, mais c’est pour la finesse du poinct de Tulle qu’elle a eu un coup de cœur. Elle s’est alors formée à la technique grâce à l’association, avant de voler de ses propres ailes, et réussir l’impossible : faire de la dentelle de Tulle… à Brive !
En 2016, elle a créé l’entreprise « Dentelle et rosel » mais dresse aujourd’hui le constat un peu amer que les visiteurs sont admiratifs et conscients d’être face à des ouvrages faits à la main qui représentent des centaines d’heures de travail, mais le prix est un obstacle. Du côté de la haute couture, même constat : les créateurs de mode utilisent parfois le poinct de Tulle pour des détails subtils et raffinés, mais l’usage de cette « dentelle modeste » reste limité.
Mais Sylvie reste positive et collabore régulièrement avec des créateurs et stylistes comme Brigitte Paillet, et ses œuvres en dentelle ont orné une collection de chapeaux. Mais surtout sa relève va peut-être assurée par sa stagiaire Emma, qui prépare un Baccalauréat Métiers de la mode au lycée Simone Veil de Brive, et aide Sylvie à confectionner ses rosels !
Si la dentelle de Tulle fait aujourd’hui face à de nombreux défis, des passionnées continuent de faire vivre ce savoir-faire, et la nouvelle Cité de l’accordéon et des patrimoines lui accorde une place de choix. La transmission de ce savoir-faire aux générations suivantes reste l’enjeu majeur pour ne pas perdre ce patrimoine immatériel qui pourrait être prochainement reconnu par l’UNESCO.