18.1 C
Région Limousin
lundi 4 novembre 2024

Les curieux calculs pour obtenir les résultats du palmarès des « villes et villages où il fait bon vivre »

Depuis 2017, une association baptisée « Villes et villages où il fait bon vivre » publie son palmarès des communes qui offrent, selon sa méthodologie d’analyse, un cadre de vie privilégié. Curieux, on a été explorer le classement pour aller voir tout ça de plus près. On vous livre donc le top 10 pour les 3 départements limousins mais on a aussi pris le temps de décortiquer la moulinette qui se cache derrière tout ça et il y’a quand même 2-3 trucs qui ont de quoi questionner…

Ah les classements, les palmarès, les tops… voilà une information que l’on sait faiblement fiable mais qui ne manque jamais de susciter la curiosité ! Qui c’est le meilleur ? Où est-ce-que je me situe ? Qui est-ce que je devance ? Ce besoin de nous comparer aux autres n’a souvent rien de bien rationnel mais on résiste difficilement à la tentation d’aller quand même y jeter un œil. Pas plus malin que les autres on a donc épluché le dernier classement 2023 de l’association « Villes et villages où il fait bon vivre » mais aussi la méthodologie utilisée pour arriver à de tels résultats.

Les classements nationaux et départementaux 2023

Évitons de rentrer dans un suspens insoutenable, voilà les classements nationaux et le classement pour la Haute-Vienne, la Corrèze et la Creuse. On vous laisse jeter un coup d’oeil rapide et on se retrouve plus bas parce qu’on a encore pas mal de choses à voir ensemble pour détailler les « savants » calculs qui ont permis d’arriver à tout ça…

Classement national des « villes »

  1. Angers (49)
  2. Bayonne (64)
  3. Biarritz (64)
  4. Anglet (64)
  5. La Rochelle (17)
  6. Lorient (56)
  7. Annecy (74)
  8. Rennes (35)
  9. Brest (29)
  10. Le Mans (72)

Classement national des « villages »

  1. Guéthary (64)
  2. Epron (14)
  3. Martinvast (50)
  4. Peltre (57)
  5. Authie (14)
  6. Saint-Quay-Perros (22)
  7. Mazères-Lezons (64)
  8. Buros (64)
  9. Cambes-en-Plaine (14)
  10. Marcellaz-Albanais (74)

Si Angers arrive en tête des « villes où il fait bon vivre » on peut noter une prédominance des villes littorales dans le Top 10 et notamment de l’agglomération Biarritz-Anglet-Bayonne au 2ème, 3ème et 4ème rang. Idem pour les villages puisque Guéthary rejoint ses voisins en récoltant la 1ère place et que l’on compte 5 villes côtières (ou presque) dans le Top 10

Classement des « villes où il fait bon vivre » en Haute-Vienne (#rang national)

1. Limoges (#26)

2. Couzeix (#275)

3. Isle (#658)

4. Feytiat (#684)

5. Saint-Junien (#701)

6. Panazol (#708)

7. Condat-sur-Vienne (#1021)

8. Saint-Yrieix-la-Perche (#1022)

9. Noailles (#1101)

10. Le Palais-sur-Vienne (#1243)

C’est l’agglomération limougeaude qui occupe la majeure partie de ce Top 10 départemental, Limoges se classant même 26ème au niveau national et 12ème ville de plus de 100 000 habitants.

Classement des « villes où il fait bon vivre » en Corrèze (#rang national)

1. Brive-la-Gaillarde (#40)

2. Tulle (#130)

3. Ussel (#1066)

4. Naves (#1432)

5. Malemort (#1528)

6. Laguenne-sur-Avalouze (#1603)

7. Donzenac (#1669)

8. Saint-Pantaléon-de-Larche  (#1840)

9. Noailles (#2016)

10. Ussac (#2071)

Là aussi, ce sont les principales agglomérations corréziennes qui caracolent en tête du Top 10 départemental avec une 40ème place nationale pour Brive qui se voit même attribuer le rang #8/325 dans la catégorie des villes de 20 000 à 50 000 habitants.

Classement des « villes où il fait bon vivre » en Creuse (#rang national)

1. Guéret (#420)

2. Sainte-Feyre (#3085)

3. La Souterraine (#3823)

4. Aubusson (#4061)

5. Saint-Léger-le-Guérétois (#4664)

6. Bourganeuf (#5831)

Pour la Creuse c’est plus compliqué ! Seules 6 communes creusoises entre dans le champ des villes et villages « où il fait bon vivre ». Plusieurs raisons potentielles à cela : l’absence de certaines données disponibles qui disqualifient automatiquement la commune et des distances d’accès aux commerces & services plus importantes qui pénalisent les scores des communes creusoises et les font sortir du top 20% national, les excluant ainsi du cercle fermé des communes « où il fait bon vivre ».

Voilà, les classements sont révélés, si votre commune en fait partie vous être probablement flatté, si vous n’y êtes, vous vous demandez sûrement pourquoi, alors penchons nous maintenant sur la méthode de calcul.

198 critères et un sondage d’opinion pour classer… 34820 communes !

« Villes et villages où il fait bon fait bon vivre » le clame haut et fort, son palmarès est le seul à comparer l’ensemble des plus de 34 000 communes métropolitaines, à l’exception de 6 communes inhabitées de la Meuse. Son travail est annoncé comme étant « basé sur une méthodologie pointue, affinée d’année en année » et détaillée avec précision dans la note méthodologique disponible sur son site.

Pour faire simple, il s’agit :

    • de compiler certaines données officielles (INSEE, ministères, ARCEP…),
    • de les associer à des critères, eux-mêmes regroupés en catégories thématiques,
    • d’attribuer un score de 0/25/50/75/100 à chaque commune pour chaque critère,
    • de calculer le score de chaque commune pour chaque catégorie thématique,
    • de pondérer le poids de chaque thématique selon les résultats d’une enquête d’opinion,
    • de calculer un score global pour chaque commune et de faire un tri décroissant.

Il y’a donc 10 catégories thématiques avec un nombre de critères variables :

      1. Qualité de vie – 61 critères *¹ : paysages de la commune (agriculture, zones industrielles et commerciales, types de sites naturels, activité touristique), taux de natalité, taux de chômage, espérance de vie, dynamisme économique, couverture numérique…
      2. Sécurité – 41 critères *² : cambriolages, vols, crimes, destructions, incendies, infrastructures de sécurité etc…
      3. Santé – 7 critères : proximités des établissements de santés, maternité, médecins, pharmacies, ephads
      4. Transports – 3 critères : proximités des taxis, avions et trains
      5. Commerces & Services – 39 critères : proximités de tous les types de commerces, artisans, services
      6. Protection de l’environnement – 5 critères *³ : qualité de l’air ATMO, sites industriels pollués, sites SEVESO
      7. Éducation – 15 critères : 1er degré, 2nd degré, types et offres des établissements supérieurs.
      8. Solidarité – 3 critères : insertion professionnelle, aide sociale à l’enfance, logements sociaux.
      9. Sports & Loisirs – 22 critères : équipements de loisirs, sportifs et culturels.
      10. Attractivité immobilière – 3 critères : évolution des prix au m² sur les 3 dernières années, taux de logements vacants

*¹ 44 critères relatifs au « paysage » sont regroupés en 1 seul critère avec une seule note,

*² Les données de 33 critères relatifs aux infractions, délits et crimes sont départementales et sont aussi regroupées en 1 seul critère avec une seule note identique pour chaque commune du département

*³ Les 5 critères relatifs à la « protection de l’environnement » ont été ajoutés cette année

L’attribution des notes 0/25/50/75/100 se fait, selon les critères, soit en fonction de leur écart par rapport à la moyenne des communes similaires en terme de strate de population, soit en fonction de la distance pour accéder à un service ou un équipement calculée en temps de trajet : de 10/20/30 minutes pour les plus communs (commerces) à 60/90/120 minutes pour les plus rares (aéroport par exemple).

Des notes sont ainsi définies pour chacun des critères puis additionnées pour attribuer à chaque commune un score total dans chacune des catégories (« Points de catégorie – PC »). Ce score « PC » est ensuite pondéré selon l’ordre de priorité déterminé par une enquête d’opinion réalisée auprès d’un échantillon de 1000 personnes par Opinion Way, entreprise privée spécialisée dans les sondages…

© Opinion Way

Une fois tous les scores « PC » pondérés et additionnés en un score global (Total Définitif – TD), les communes sont enfin classées dans l’ordre décroissant au niveau national, départemental et par strate de population (9 strates de 0-500 à + de 100 000). Le classement complet n’est pas accessible mais vous pouvez consulter les résultats pour chacune des communes sur le site de l’association.

Une vision très partiale de la qualité du cadre de vie

Si l’on ne peut contester les données utilisées, provenant de sources officielles, et une méthodologie clairement détaillée (31 pages!), on peut quand même s’interroger sur le choix arbitraire de ces fameux « 198 critères » qui permettent de déterminer ce qui fait une commune où il fait bon vivre !

La prédominance des catégories associées à la « qualité de vie » (vaste pêle-mêle allant du paysage au taux de chômage), à la « sécurité » et aux « commerces & services » est telle qu’elle créé un biais particulièrement trompeur dans l’analyse. Car à elles trois, ces catégories représentent plus de 140 des 198 critères et leurs notes sont en plus majorées par la pondération réalisée selon les résultats de l’enquête d’opinion réalisée pour l’occasion.

Cette enquête d’opinion a été réalisée par Opinion Way, une entreprise qui a fait l’objet de critiques répétées pour des méthodes peu scrupuleuses de traitements des résultats ou de recrutement des sondés (essentiellement via le web) et qui avait été associée à plusieurs affaires douteuses de sondages à l’époque de Nicolas Sarkozy. Sans mettre en doute les résultats issus de l’enquête qui sert dans le calcul des scores des « communes où il fait bon vivre », on peut quand même se poser la question de la fiabilité des résultats sur un échantillon aussi faible, avec un nombre de questions et des possibilités de réponse aussi limitées.

Enfin, lorsque l’on détaille les différents critères, on s’aperçoit que la présence d’une « horlogerie-bijouterie » a apparemment autant de poids que celle d’une « gare », et que la présence d’un magasin de « soins de beauté » est plus importante que la « qualité de l’air ». D’ailleurs, l’addition récente des 5 critères de « protection de l’environnement » est presque risible tant le cadre environnemental est sous-représenté, ce qui semble paradoxal pour analyser « où il fait bon vivre », par rapport au nombre de critères considérés dans les principales catégories. Cette étude qui se veut une analyse du cadre de vie ne prend pas en compte les éléments qui apparaissent pourtant de plus en plus essentiels dans toute tentative de quantification de la qualité de vie.

Vendre des labels et défendre une certaine idée de la France

Alors pourquoi s’embêter à compiler autant de données et à faire tous ces calculs alambiqués si c’est pour obtenir des résultats dont la fiabilité est clairement contestable ? Parce que cela permet ensuite à l’association de proposer aux communes « labellisables » d’afficher, à l’entrée de leur ville, un panneau coloré prévenant les habitants et les visiteurs qu’ici c’est mieux qu’ailleurs.

Pour une modique somme allant de 500€/an à près de 4000€/an selon la taille de la commune, les villes qui font partie du top 20% national obtiennent le droit d’utiliser le label que leur attribue l’association « Villes & Villages où il fait bon vivre » bien qu’aucun de ses membres ne soient jamais venus y mettre un pied pour essayer de déterminer si c’était bien le cas… Le but de cette association semble donc, grâce à sa promesse d’un « palmarès le plus complet réalisé jusqu’à aujourd’hui » et largement relayé dans les médias (nous y compris), de générer, par l’adhésion au label une forme de rente annuelle non négligeable.

© villesetvillagesouilfaitbonvivre.com

Plus insidieusement, les résultats contribuent surtout à promouvoir une certaine idée de «où il fait bon vivre» qu’incarne plutôt bien Thierry Saussez, président de l’association. Ancien conseiller politique de Nicolas Sarkozy, ancien membre du RPR et à l’UMP, Thierry Saussez est ainsi à la tête d’une équipe dédiée à valoriser une certaine vision de la société, sous couvert d’une étude statistique biaisée et très partiale, qui ressemble fortement à celle proposée dans les programmes électoraux des candidats républicains. Nous ne sommes donc pas face à une étude statistique ni même un label touristique mais bien dans une action de promotion politique !

Alors on ne nous y reprendra plus. Au prochain «top 10», c’est promis, on résistera à la tentation de cliquer pour savoir qui c’est l’premier ? parce qu’il semble évident que dans ce genre de palmarès, et comme le dit si bien la fable, « tout flatteur vit au dépend de celui qui l’écoute ». Cette leçon vaut bien un panneau, sans doute.

Brice Milbergue
Brice Milbergue
Rédacteur en chef d'Actus Limousin

A la une

Plus d'articles