Pourquoi et comment la Corrèze s’exerce à faire face au scénario du pire : la rupture d’un barrage ?

Un exercice de grande ampleur s’est déroulé ce mardi 25 novembre dans la vallée de la Vézère en Corrèze : la gestion de crise en cas de menace de rupture d’un barrage hydroélectrique. Plus de 250 personnes étaient mobilisées. Nous étions sur les lieux. 

Des averses douchent le Plateau de Millevaches en ce mardi matin de fin novembre. Le lac de Viam semble calme, dans sa brume. Et pourtant, dans quelques minutes, les sirènes du barrage de Monceaux-la-Virolle – qui retient quelque 20.5 millions de mètres cube d’eau – vont sonner et déclencher un ensemble de procédures exceptionnelles sur le territoire aval.

Le Lac de Viam et ses 20 millions de m³ d’eau sous la grisaille d’automne… © Jérémy Truant

Pas de panique, il ne s’agit que d’un exercice de sécurité civile organisé par la Préfecture de la Corrèze dans le cadre des 4èmes Journées Nationales de la Résilience (JNR), une initiative gouvernementale visant à « diffuser la culture du risque et de la résilience auprès de tous les publics ». Les objectifs : connaître les risques majeurs de son territoire, comprendre les bons comportements à adopter, savoir comment réagir et s’informer en cas d’événement grave.

« On n’avait pas fait d’exercice comme ça sur un barrage depuis 20 ans au moins. C’est le risque majeur que l’on a en Corrèze », indique le préfet de la Corrèze. Le département compte en effet 20 barrages, dont 9 classés en catégorie A (« grands barrages »), une qualification qui résulte de la hauteur de l’ouvrage (supérieure à 20 mètres) et de son volume de retenue (supérieur à 15 millions de m³).

Le scénario

Nous sommes le mardi 25 novembre, il est un peu plus de 9 h 30 lorsque le préfet de la Corrèze est alerté par EDF hydro que « dans un contexte de fortes pluies, le niveau d’eau au barrage de Monceaux-la-Virolle monte et deux des trois évacuateurs de crues sont en panne », selon les dires du préfet de la Corrèze Vincent Berton. Le risque majeur c’est que la rupture de ce barrage qui provoquerait une vague de submersion qui atteindrait Libourne (Gironde) et impacterait 28 communes en Corrèze, 24 communes en Dordogne, soit un total de plus de 100 000 personnes concernées !

Que se passerait-il si le barrage de Monceaux-sur-Virolle, qui retient les 20 millions de m³ du lac de Viam, venait à rompre ? © Père Igor

Un poste de commandement opérationnel est installé sur la commune de Saint-Germain-les-Vergnes et les sirènes résonnent dans les communes concernées. Un peu plus tard dans la matinée, les élèves de l’école de Varetz ont été évacués ainsi que les occupants de la salle des fêtes de Saint-Viance. Pour l’occasion, c’est des élèves et professeurs du Bac pro Métiers de la sécurité et BTS Management opérationnel de la sécurité du lycée René-Cassin de Tulle, qui se sont prêtés au rôle de figurants…

12 h 18, les téléphones sonnent d’une manière stridente. C’est la notification envoyée via Fr-Alert (le système d’alerte d’urgence français qui envoie des notifications directement sur les téléphones présents dans une zone menacée) qui vient d’arriver :

Le message diffusé via le dispositif « FR-Alert » © Jérémy Truant

« C’est moi qui ait déclenché l’alerte via tous les opérateurs », reprend le préfet présent à Uzerche. Car un peu plus en aval, toujours sur la Vézère, à l’auditorium Sophie-Dessus, ce sont les spectateurs (toujours des lycéens de Tulle) d’un concert de musique classique qu’il faut évacuer avant l’éventuelle arrivée de la vague de 18 mètres de haut. Dans la salle, les spectateurs paniquent, certains convulsent, d’autres s’effondrent.

Mobilisés pour l’occasion, des lycéens de Tulle ont fait office de figurants, avec des rôles bien précis © Jérémy Truant

Quelques longues minutes plus tard, la Croix-Rouge arrive sur les lieux, suivie des sapeurs-pompiers. Dans un coin, le capitaine Martial Molinier, une chasuble « observateur » sur le dos, prend des notes. Il analyse la situation, la coopération interservices et les remontées d’informations et précise : « Les pompiers auraient du arriver plus vite mais comme il s’agit d’un exercice et qu’ils ne savaient pas où ils allaient se rendre, ils étaient positionnés à Seilhac. »

Les figurants ont joué leurs rôles jusqu’au bout ! © Jérémy Truant
Le capitaine Martial Molinier analyse la situation, la coopération interservices et les remontées d’informations © Jérémy Truant

Les spectateurs secourus sont ensuite emmenés vers le Centre d’accueil installé dans la salle des fêtes d’Uzerche. Dans l’après-midi, ce sont deux randonneurs qui sont perdus à Treignac et que les secours ont dû rapidement retrouver.

Les enseignements à tirer de cet exercice

Au total près de 250 personnes ont été mobilisées dont EDF Hydro Dordogne, les services de l’État, le SDIS, les maires et l’association des maires, le Conseil départemental de la Corrèze, les associations de sécurité civile, la radio locale Ici Limousin, ESJ Pro, Météo France et les opérateurs routiers.

Parmi les « couacs » que cet exercice a permis d’identifier, on peut noter par exemple le temps beaucoup trop long entre le déclenchement de l’alerte par le préfet et l’arrivée de la notification sur les smartphones. Certains ne l’ont d’ailleurs jamais reçue. « Il y a énormément de points d’amélioration, c’est normal, cela sert à ça un exercice. Il faut que les informations circulent mieux et soient plus précises, que chacun connaisse bien son rôle », confie à chaud le préfet Vincent Berton qui, en fin d’opération à 16 heures, a remercié chaleureusement l’ensemble des participants pour leur sérieux et leur implication.

Si tout n’a pas été parfait (c’est le but d’un exercice !), Vincent Berton, préfet de la Corrèze a remercié tous les participants pour leur sérieux et leur implication © Jérémy Truant

Edito : Et si le barrage lâchait ?

Chez nous, les barrages cristallisent un paradoxe : prouesses d’ingénierie qui symbolisent la maîtrise humaine de la nature et des sources d’énergie propre, nous les admirons comme des « cathédrales de béton » ; et pourtant, ils portent aussi en eux une forme de menace : celle du risque, de la rupture potentielle, de l’eau domptée qui pourrait reprendre ses droits, d’un coup, et de la catastrophe que cela provoquerait.

On connaît tous cette info : si le barrage de Bort-les-Orgues cédait, l’eau de la Dordogne déferlerait dans la vallée et entraînerait la rupture des barrages en aval, provoquant une vague qui submergerait tout sur son passage jusqu’à Bordeaux. Alors, chaque exercice de sécurité – aussi perfectible soit-il – rappelle que derrière la puissance technologique, il y a une vulnérabilité collective et qu’il est nécessaire pour la population d’être sensibilisée à ce risque qui, même si l’on fait tout pour qu’il soit moindre, n’est pas un risque 0…

Jérémy Truant
Jérémy Truant
Journaliste Actus Limousin
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