A la filature Terrade à Felletin, le savoir-faire et la passion se transmettent de génération en génération depuis plus de 100 ans

Héritière d’un savoir-faire centenaire, la filature Terrade implantée à Felletin perpétue la tradition du filage de la laine. Depuis le mois de juin dernier, Tiphanie Terrade a pris les rênes de l’entreprise avec des projets plein la tête. A 28 ans, la jeune femme représente la 5ème génération à la tête d’une petite entreprise familiale au savoir-faire reconnu.

Le tissage de la laine a forgé la réputation de Felletin implantée à mi-chemin entre Limoges et Clermont-Ferrand. La ville s’est développée grâce à une industrie jadis florissante composée de minoteries, de tanneries, de papeteries et d’ateliers de tapissiers-lissiers. Son nom était alors indissociable de sa proche voisine Aubusson. Au XVIème siècle, la ville était un passage obligé et le centre d’approvisionnement de tout un territoire. La vitalité de son marché hebdomadaire, qui attire des commerçants et consommateurs venant de loin, témoigne encore de ce glorieux passé. Grâce à sa prospérité, la ville compta jusqu’à 5 000 à 6 000 habitants au milieu du XVIe siècle se hissant au rang de capitale de la Marche.

Une reconversion qui coule de source

La filature Terrade est la digne héritière de cet âge d’or. Acquise en 1913 par le grand-père du grand-père de Tiphanie, c’était alors une foulonnerie de draps qui fabriquait des capes pour les bergers. La jeune femme, opticienne à Clermont-Ferrand, a choisi de reprendre la filature familiale. « Je n’avais pas cette idée là mais revenir en Creuse chaque semaine m’a donné envie de m’installer à la campagne » raconte la nouvelle gérante.

Le challenge est audacieux pour la jeune femme de 28 ans qui a grandi au milieu des machines des années 40-50, un terrain de jeu formidable. « Mes grands-parents habitent au-dessus, tous les soirs après mes devoirs, j’allais traîner dans l’usine » se souvient-elle. Son père cherchait un repreneur tout en voulant finir sa carrière à la filature. « La gestion de la partie administrative et de la production devenait trop lourde pour lui » remarque-t-elle, « il est toujours là et heureusement car j’ai besoin de lui, il détient le savoir-faire et la technique. C’est lui qui entretient les machines et les démarre, il a tout dans la tête, il va falloir que je lui sorte tout ça ! ».

Tiphanie Terrade a grandi dans la filature familiale. A 28 ans, elle a tourné le dos à sa carrière d’opticienne citadine pour revenir à la campagne et reprendre le flambeau © Brice Milbergue

Faute d’école en France pour apprendre ce métier, il est essentiel que le savoir-faire se transmette d’une génération à l’autre pour ne pas disparaître définitivement. Une petite dizaine de filatures subsistent dans l’hexagone. « On a la chance d’en avoir deux en Creuse avec Fonty à Rougnat reprise voilà sept ans et elle s’est bien développée depuis ça donne vraiment envie. » remarque-t-elle.

De la toison au fil, un long processus et d’incroyables machines

La transformation de la laine est le fruit d’un long processus. A la filature Terrade, quatre salariés fabriquent des kilomètres de fils à partir de toisons lavées en Haute-Loire par la dernière entreprise spécialisée du pays. Stockée en ballots au rez-de-chaussée, la laine est d’abord décompactée par le batteur avant de passer au « loup » batteur, une machine qui l’aère et la transforme en flocons utilisés pour rembourrer des matelas par exemple.

Stockées en ballots, les fibres de laine lavées sont décompactées avant de passer au « loup », une machine qui les aèrent et les transforment en flocons © Brice Milbergue

A l’étage, les impressionnantes machines nous plongent dans un autre siècle. Sur la carde, longue de 20 m, la laine avance sur des rouleaux garnis d’aiguilles de différentes tailles d’où sort le pré-fil fragile et délicat à manipuler.

La carde, une incroyable machine de près de 20 mètres de long, permet de transformer les flocons de laine en « pré-fil » © Brice Milbergue

 

Le « pré-fil », un fil de laine très fragile et délicat à manipuler © Brice Milbergue

Il passe après sur le « continu à filer », une machine tout aussi imposante, qui le tord pour le solidifier et le met en bobines disposées ensuite sur l’assembleuse. En fonction des commandes, la machine assemble de 2 à 10 fils pour en former un seul, plus épais, qui sera tordu sur le tordoir.

Le « continu à filer » tord le fil pour le rendre plus résistant et l’assembleuse permet de faire un fil plus épais en combinant de 2 à 10 fils… © Brice Milbergue

La filature utilise essentiellement de la laine française (95%) et ajoute parfois des fibres de cachemire, d’alpaga ou de yak importées pour répondre à des commandes spéciales. Les fils regroupés en écheveaux sont dégraissés pour en retirer la graisse ajoutée lors du passage à la carde. La laine conserve alors sa couleur naturelle ou elle sera teinte.

La teinturerie, un savoir-faire précieux qui demande du temps…

La filature Terrade propose du travail à façon pour des éleveurs de toute la France qui souhaitent valoriser leur laine mais dispose aussi de sa propre gamme déclinée en 24 couleurs, auxquelles s’ajoutent les nappes à filer pour le feutre. Sa clientèle est composée de merceries, d’artisans d’art, de fabricants de vêtements ou de tapissiers à l’image de la Manufacture Pinton, prestigieuse maison installée elle-aussi à Felletin, un de ses plus gros clients. Des demandes arrivent parfois de l’étranger de manière exceptionnelle : « On avait fait des couleurs pour cette cliente qui vit maintenant aux Etats-Unis » raconte Tiphanie. Sa lettre est accompagnée d’échantillons de fils pour retrouver les mêmes teintes.

A la teinturerie, les deux salariés ont été embauchés cette année. « C’est un métier à part entière où il n’existe pas de formation signale la gérante, ça s’apprend sur le tas et il faut plus du temps pour maîtriser la teinture que les machines à filer. »

Des poudres de couleur, des bains d’eau chaude, un bon oeil et beaucoup de patience pour apprendre à teinter la laine à la couleur désirée… © Brice Milbergue

Valoriser les laines françaises

Tiphanie Terrade fourmille de projets que ce soit un site Internet marchand ou l’amélioration des conditions de travail qui nécessite de restaurer les bâtiments. Elle va engager une étude de faisabilité visant à récupérer la chaleur produite pour la réinjecter dans le circuit interne. La transmission du savoir-faire, entre les mains des quatre salariés âgés de plus de 50 ans, est aussi indispensable pour pérenniser l’activité.

Membre de l’association « Lainamac » qui fédère la filière laines françaises, l’entreprise s’inscrit dans une dynamique de promotion et de valorisation. « Mon père est très investi depuis la création en 2009, cela offre des opportunités en mettant en relation clients et éleveurs assure-telle enfin, c’est aussi un partenaire très important pour la formation. » Cette dynamique s’est renforcée depuis le lancement, en avril, du cluster Résolaine porté par Lainamac et la CCI Bayonne Pays Basque avec le soutien de la Région. « Le but est de trouver des projets pour valoriser davantage la laine produite en France » signale Thierry Terrade, « les Chinois achetaient 95 % de la laine française mais ils ont arrêté depuis le Covid. Les éleveurs manquent donc de débouchés pour valoriser leurs stocks. L’isolation des murs et des combles apparaît comme une piste intéressante. »

Jeune et entreprenante, Tiphanie Terrade symbolise bien ce renouveau de la filière laine dont Felletin est l’épicentre.

Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site web de la Filature Terrade.

Texte : Corinne Mérigaud / Photographies : Brice Milbergue

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