A Saint-Laurent-les-Eglises, le château de Walmath va ouvrir exceptionnellement ses portes au public, les 20 et 21 septembre à l’occasion des « Journées Européennes du Patrimoine ». C’est l’occasion rêvée pour découvrir l’histoire de son constructeur : Jean-Baptiste Mignon, ingénieur et industriel limougeaud, parti de rien qui s’est forgé une réussite surprenante.
Jean-Baptiste Mignon, un industriel limougeaud parti de rien
Né en 1824 à Limoges de père inconnu, Jean-Baptiste Java ne semblait pas particulièrement promis à un destin brillant : abandonné par sa mère peu après sa naissance, il grandit dans la maison bourgeoise de la famille Mignon, où elle était domestique. Louis Joseph Mignon, n’ayant pu avoir d’enfant, lui donnera les moyens de réussir. En 1840, il entre à l’École des Arts et Métiers d’Angers où ses qualités de travailleur et d’homme ambitieux vont vite se révéler. Il débute sa carrière dans la « Compagnie des chemins de fer du Nord » en tant que calqueur avant d’être vite promu chef d’études. En 1850, Louis Joseph Mignon l’adopte et en fait même son légataire universel.
En 1852, Jean-Baptiste Mignon rachète l’usine de constructions mécaniques « Kaulek » à Paris, avant de s’associer avec le polytechnicien Henri Rouart pour créer « Mignon et Rouart ». Inventeurs talentueux, ils déposeront une centaine de brevets comme une plaque tournante pour les locomotives ou une machine à fabriquer du froid qui fera leur fortune.

En 1872, il rachète « la fonderie d’art du Val-d’Osne » (Haute-Marne), spécialisée dans la fabrication de mobilier urbain en fonte moulée, pour 1,1 million de francs or (une somme colossale pour l’époque), et la dirigera jusqu’en 1893, un an avant son décès.
L’incroyable domaine de Valmatte
Le château de Valmatte
En parallèle de sa brillante carrière d’entrepreneur, Jean-Baptiste Mignon s’illustre aussi par ses talents de constructeur. Sur un domaine de 200 hectares à Saint-Laurent-les-Eglises, qu’il rachète en 1858 à un fils Léobardy et renomme « domaine de Valmatte », il fait construire un très beau château et aménager, par le paysagiste André Laurent, un parc à l’anglaise de 18 hectares où l’on trouve quelques 350 essences végétales, un étang avec un pont en rocaille, des bassins et même une réplique de l’escalier parisien de la Légion d’honneur !

Une ferme modèle de 8 000 m² classée en 2024
A l’entrée du domaine, un autre bâtiment intrigue par ses dimensions gigantesques. Bâtie en 1867, cette immense « ferme modèle » de 8 000 m² est dotée d’une charpente métallique qui tranche dans le paysage local. « La ferme modèle, inscrite aux Monuments Historiques en 2024, reflétait son souhait d’industrialiser l’agriculture à l’image de ses usines comme les fonderies du Val d’Osne. La centaine de vaches, nourries par un système de wagonnets (grande spécialité de Mignon), alimentait les employés. Mais cela n’a pas été un succès, il était trop avant-gardiste. » relate Charlène Kulunkian. « Deux cents personnes travaillaient ici en autonomie alimentaire » et le domaine comptait également trois serres où poussaient légumes, fleurs et vigne, un luxe à l’époque.

« Il n’y a pas d’équivalent en France » assure Antoine Duchambon, « lorsque les conservateurs des Monuments Historiques sont venus de Paris, ils n’ont pas compris la raison pour laquelle ce bâtiment a été construit. Ils l’ont classé et cela faisait plusieurs années qu’un édifice ne l’avait pas été. » Ce lieu servait aussi de « showroom » à l’industriel pour démontrer son savoir-faire en matière de fabrication de charpentes de très grandes dimensions, « la grande halle fait 3 000 m² et dans le bâtiment attenant de 1 000 m², on pourrait mettre le château sans qu’il ne touche les murs ! ».
A sa mort, en 1894, il laissera à son épouse une fortune colossale de 3,5 millions francs or qui permettra à ses descendants de conserver le domaine de Valmatte pendant près de 70 ans. Vendu en 1962, le domaine changera plusieurs fois de propriétaires (et même de nom en devenant « Walmath ») avant d’être le théâtre d’un pillage massif en 1993…
Un pillage méthodique et avec de très gros moyens…
L’immense bâtisse de briques rouges et de pierres de calcaire, construite par Jean-Baptiste Mignon dans la seconde moitié du XIX siècle, a failli sombrer à jamais dans l’oubli, dépouillée de ses plus beaux atours à partir de 1962 et massivement pillée en 1993. A leur arrivée, les propriétaires ont découvert un château abandonné, vandalisé et qui prenait l’eau.
Les boiseries, les portes, les cheminées en marbre, l’escalier monumental, les balcons qui ornaient la salle de bal, les vitraux de l’immense verrière… tout avait disparu lorsque Paul et Françoise Duchambon prirent possession de leur bien quelques jours après l’achat. Même l’imposant portail en bronze de 6 tonnes s’était volatilisé !

« Il y a eu un pillage méthodique par une équipe bien organisée » raconte leur fils Antoine, l’actuel propriétaire, « le portail a été découpé en une nuit. Comme il n’y avait pas de chemin d’accès, la verrière est sûrement partie en hélicoptère. » La tâche a donc été colossale pour redonner son lustre à cet édifice martyrisé par le temps et encore plus par les cambrioleurs.
Un château patiemment restauré et remeublé
Patiemment, la famille Duchambon restaure le château de Walmath acquis aux enchères en 1994. Au fil des années, le château a retrouvé un peu de sa superbe au gré des travaux de restauration réalisés par les propriétaires en fonction de leurs capacités financières. Leur objectif était de remettre l’édifice dans son état d’origine.
Trois décennies après, Walmath est sauvé même si certaines pièces attendent encore d’être restaurées. Lors des Journées du patrimoine, des visites guidées par petits groupes seront proposées aux amateurs d’histoire qui pourront admirer le rez-de-chaussée, la salle de bal qui a retrouvé ses balcons, son escalier, ses boiseries et sa verrière, la salle de musique, la salle de billard, le salon bleu et le vestibule.

Au 1er étage, il sera possible de voir la chambre de Diane, restaurée récemment, et la chambre de Mignon. « Le château sera spécialement remeublé » précise Charlène Kulunkian, la gestionnaire, « nous avons changé la formule cette année avec des visites guidées pour découvrir l’histoire du château, de Jean-Baptiste Mignon et celle de la famille Duchambon. Les fonds collectés serviront à restaurer la ferme modèle. »
Une ferme en péril et une glacière habitée par des chauve-souris
La « ferme-modèle » nécessite en effet d’importants travaux de restauration. Antoine a posé lui-même des renforts métalliques sur l’extérieur d’un mur pour le renforcer car il menaçait de s’effondrer, et des câbles ont été tirés à l’intérieur pour le maintenir. Malgré ces travaux d’urgence, financés avec l’aide de la DRAC, la tâche est colossale pour sauver cet héritage agricole unique en son genre. Les travaux de sécurisation sont estimés à 500 000 euros. La toiture est à refaire et la charpente fabriquée par Mignon, restée « dans son jus », a subi des dommages.

Un autre lieu atypique est à découvrir, dans un bois, après quelques minutes de marche : l’une des plus vastes glacières de France a été aménagée 10 à 15 m sous terre. On y pénètre par un étroit tunnel pour comprendre son fonctionnement. « C’était l’ancêtre du réfrigérateur » raconte Charlène, « les aliments étaient conservés jusqu’à 3 ans grâce à la glace prélevée sur l’étang et acheminée par wagonnets.» Les blocs étaient déposés par une trappe dans la partie centrale et les denrées stockées dans les galeries attenantes. Les galeries n’abritent plus de denrées mais… une colonie de chauves-souris.

Pour financer la restauration, le château et le parc sont proposés à la location pour organiser des mariages (22 cette année) et des événements. « Nous sommes au service du patrimoine, c’est une philosophie de vie et tous les fonds sont investis dans le domaine » ajoute-t-elle.
Infos pratiques
Château de Walmath, Allée du château, 87240 Saint-Laurent-les-Églises
Ouvert les deux jours de 10h30 à 12h et de 14 h à 18h. Visite libre du parc. Visites guidées payantes sur rendez-vous toute l’année.
Entrée 10 € (gratuit pour les moins de 16 ans) : visite guidée du château, de la ferme modèle et de la glacière par groupes de 15-20 personnes (Prévoir des chaussures adaptées).