Changement climatique : qu’il parait loin le temps où l’on pouvait skier en Limousin…

Chez Actus Limousin, nous sommes étions de grands amateurs des sports d’hiver. Tout a commencé sur les pistes de ski de fond du Plateau de Millevaches, où de nombreux limousins ont connu jadis leurs premières initiations aux sports de glisse. Petit retour nostalgique sur une période pas si lointaine mais certainement révolue tant le changement climatique chamboule l’hiver limousin…

Les vacances d’hiver sont là… Des vacances d’hiver d’humeur carnavalesque qui se sont déguisées cette année en vacances de Pâques : les crocus et les jonquilles ont réussi à leur grande surprise une percée début février, les oiseaux gazouillent comme au premier jour du printemps et les sommets du Limousin, et du Massif Central au loin, restent désespérément verts… Désespérément ? Oui, pour tous les amateurs de sports d’hiver, ceux pour qui le « février imaginaire » rime encore avec glissades, poudreuse, fondue et chaussettes mouillées.

Il fût un temps où l’on skiait dans le Limousin en hiver. Alors bien sûr, pas forcément tous les ans parce que la neige ça reste toujours aléatoire, mais le rude climat de la montagne limousine offrait bien souvent un petit créneau de « grand blanc » pendant quelques semaines. Rien d’extrême dans les trois stations de ski de fond du Plateau de Millevaches mais c’était amplement suffisant pour offrir des souvenirs inoubliables à tous ceux qui ont fait leurs premiers pas sur des skis, au coeur des forêts limousines.

On a demandé à notre cartographe préféré Lucas Destrem de nous imaginer un plan des pistes limousines comme il y’a 20 ans ! © Lucas Destrem | Actus Limousin

Ouvertes dans les années 80-90, les stations limousines ne seront bientôt plus qu’un souvenir. Celle de Gentioux-Pigerolles a officiellement fermée en 2023, en raison du manque de neige de plus en plus fréquent et faute de bénévoles pour entretenir les pistes. Celles de Bonnefond et de Saint-Setiers sont en sursis mais tout porte à croire qu’elles subiront le même sort…

Y’a plus beaucoup de neige ces dernières années en Limousin, c’est grave docteur ?

La situation de la montagne limousine est à l’image de celle qui touchent toutes les montagnes de France et d’ailleurs. Le faible enneigement de ces dernières années est un témoin incontestable du réchauffement climatique en cours et les signes du changement semblent encore plus perceptibles en hiver. Et pour cause : la neige est le fruit d’une concordance bien précise entre température et précipitations. Ajoutez 1 ou 2 degrés au « mélange » et vous n’obtiendrez que de l’eau.

Pour pouvoir vérifier l’impact du changement climatique sur l’évolution du climat hivernal du Plateau de Millevaches, nous nous sommes plongés dans les archives des données météorologiques accessibles sur le site meteo.data.gouv.fr. Si les données disponibles remontent à 1871, elles ne deviennent vraiment exploitables qu’à partir des années 1960. Nous nous sommes intéressés à deux stations météorologiques en particulier : celle de Millevaches (19139001) avec un historique très complet pour la neige et celle de Peyrelevade (19164001) plus complète en ce qui concerne les températures.

Un enneigement toujours fluctuant, une nette tendance à la baisse

L’enneigement a toujours été fluctuant sur le Plateau de Millevaches et il y’a toujours eu des années « avec » et des années « sans ».

  • Entre 1960 et 1980, on note des hivers avec des cumuls de neige impressionnants dépassant parfois les 2 mètres (1963, 1968, 1978 et 1980) et plus de 1,50 mètre de neige cumulé au moins un hiver sur deux (11 sur 21). La moyenne sur cette période est de 1.36 mètre.
  • Entre 1981 et 2000, on plafonne autour de 1.50 mètres (à l’exception 1981 avec 1.87m) et la moyenne sur la période descend à 92 cm par hiver.
  • Entre 2001 et 2020, on alterne des hivers plus « courts » avec des chutes concentrées sur la période décembre-janvier-février. Si on assiste encore à quelques belles chutes de neige, la moyenne hivernale sur la période baisse à 88 cm.

 

Les chutes de neige sont donc de moins en moins intenses et de moins en moins fréquentes même si on a encore vu quelques « beaux hivers » dans les années 2000-2010 mais rien à voir avec ce à quoi étaient habitués les locaux depuis des décennies. On vous conseille de jeter un coup d’oeil à cette « savoureuse » archive de FR3 Limousin en reportage à Faux-la-Montagne pendant l’hiver 1987.

Les températures montent, le gel se fait de plus en plus rare

Sur la période hivernale, la température moyenne sur le Plateau de Millevaches ne cesse d’augmenter depuis une trentaine d’année et la vitesse de ce changement est terrifiante. Alors que la température moyenne, sur la « moitié » la plus froide de l’année, oscillait autour des -2° jusqu’au milieu des années 1980, elle est désormais positive depuis une douzaine d’années et s’installe autour de +2°, pour l’instant…

 

Cette hausse des températures hivernales a pour incidence de réduire de près de moitié le nombre de jours où il gèle. Si jusqu’au milieu des années 1980, il gelait environ 120 jours par an à Peyrelevade, nous sommes désormais plutôt autour de 70 jours de gel par an. Il n’a pour l’instant gelé que 32 jours depuis le début du mois de novembre 2023 et on se dirige malheureusement tout droit vers un nouveau « record ».

 

Entre les années 1960 et aujourd’hui, le climat du Plateau de Millevaches, entre début novembre et fin avril, s’est donc réchauffé d’environ 4 degrés et il ne gèle plus que 70 jours par an contre 120 il y’a 50 ans. Si la neige n’a pas encore disparu du paysage, elle se raréfie aussi bien en fréquence qu’en intensité et risque de devenir particulièrement rare dans les années à venir. Et pourtant, c’est bien sur les pistes de ski de fond de Corrèze que sont nées de grandes et tenaces passions…

Itinéraire d’un snowboarder limousin…

J’ai fait mes premiers pas sur des skis de fond à Saint-Setiers au début des années 90. Pas forcément bien équipé ni forcément très habile mais Edgar Grospiron était la nouvelle « idole des jeunes » après sa médaille d’or aux JO d’Albertville 1992 et nous on faisait du « ski de fond de bosse » dans les champs de Saint-Setiers. Mordu à l’hameçon de la « glisse », l’arrivée du snowboard fût une révolution pour l’adolescent que j’étais. Une nouvelle ère s’ouvrait dans les sports d’hiver, résolument cool, résolument freestyle, hors de question de ne pas en être !

Des rêves de papier glacé d’avant l’époque de l’Internet © Actus Limousin / DR

Direction donc la gare des Bénédictins, où je suppliais ma mère de m’emmener à 6 heures du matin (merci Maman !) pour attraper un Limoges – Le Mont-Dore (pack train + forfait, A/R sur la journée) qui nous permettait, de nous offrir des « sessions » dominicales mémorables en Auvergne. Avec les premiers « pt’its boulots » vinrent les premières semaines au ski entre potes, dans le Massif Central, les Pyrénées et enfin le « graal » du snowboarder limousin : les Alpes où je m’exilerais pendant 15 ans avant de rentrer au pays. Et tout ça « à cause » d’une passion née, un après-midi d’hiver, sur les pistes de Saint-Setiers. Qui l’eut cru ?

Vers la fin de « l’or blanc » des montagnes françaises

Entre 1964 et 1977, les fameux « plans neige » conduisent à la création rapide de 23 nouvelles « stations très performantes susceptibles d’attirer les devises étrangères ». Porté par l’élan des JO de Grenoble 1968, La France construit des mines à « or blanc », bétonne et ferraille la montagne à tout va (sur fond de corruption, expropriations et dégradations environnementales…), jusqu’au « discours de Vallouise » de Valéry Giscard D’Estaing qui prône alors un « tourisme intégré, respectueux des sites et des paysages » et met fin aux « plans neige ». Une cinquantaine d’années plus tard, la France compte pourtant 400 stations de ski, plus de 3000 remontées mécaniques et près de 1.5 M de lits touristiques dans « l’espace montagne français ».

« un concept de stations d’altitude très fonctionnelles, fondées sur un urbanisme vertical, […] susceptibles d’attirer les devises étrangères » – Plan Neige 1964 © Loks – stock.adobe.com
Dès les années 1990, des experts alertaient déjà sur le risque à court terme (horizon 2030) de voir la neige se raréfier surtout en moyenne montagne. Pour continuer à profiter de « l’or blanc », de nombreuses stations ont recouvert leurs domaines skiables de canons à neige, gourmands en eau et de plus en plus inutilisables car il ne gèle plus assez souvent… Aujourd’hui, la Cour des Comptes tire la sonnette d’alarme sur le modèle des stations et sur l’usage des canons à neige, gouffres économiques et aberrations écologiques.

Cet hiver 2023-2024 ne ressemble à rien, et même si quelques flocons sont prévus pour les prochains jours, on ne peut qu’être réaliste : c’est bientôt la fin des « glissades ». La fin des sports d’hiver en Limousin a de quoi nous rendre nostalgique mais c’est sûrement loin d’être la pire des conséquences que nous réserve la hausse du thermomètre…

Et pendant ce temps-là, du côté de Nice, on se prépare pour accueillir les JO d’hiver 2030. Difficile pourtant de faire l’autruche et d’enfouir sa tête sous les galets de la plage de la promenade des anglais…

Brice Milbergue
Brice Milbergue
Rédacteur en chef d'Actus Limousin
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