L’association « Transitions Limousines » devait présenter son diagnostic consacré à l’agriculture et de l’alimentation en Limousin au Lycée agricole des Vaseix mais la Coordination Rurale locale a « vu rouge ». Si le dialogue s’est finalement apaisé, la réaction du premier syndicat agricole de Haute-Vienne face à la concertation prônée par l’association ne présage rien de bon pour le nécessaire débat sur l’avenir de l’agriculture locale…
Nous avions retracé dans ces colonnes l’approche originale de l’association « Transitions Limousines », sorte de « GIEC à la sauce locale», dont l’objectif est d’élaborer, de manière collaborative, scientifique et a-partisane, un « Plan de Transformation de l’Économie du Limousin 2025-2050 » définissant des adaptations potentielles à l’impact du changement climatique, dans 14 secteurs dits « essentiels », spécifiquement centrées sur le Limousin. 3 ans après sa création, cette association compte près de 250 adhérents issus du monde des collectivités, de l’entreprise ou de la recherche.
Un premier diagnostic consacré à l’agriculture et l’alimentation
Après avoir réalisé une projection des scénarios du GIEC sur le climat limousin d’ici à 2070 et 2100, c’est tout naturellement à l’agriculture et l’alimentation que les experts de Transitions Limousines ont consacré leur premier diagnostic. C’est un travail statistique fouillé, détaillé en quelque 120 pages, dont la synthèse est présentée sous forme d’un inventaire des atouts et faiblesses de l’agriculture régionale, des opportunités qu’elle représente et des menaces qui pèsent sur elle, toujours dans le contexte d’un climat en plein bouleversement.
Sans surprise, l’agriculture en Limousin compte parmi ses atouts écologiques le caractère extensif de l’élevage, qui se traduit entre autres par la persistance encore importante de haies, riches en biodiversité et en capacité à stocker le carbone, ainsi que la faible utilisation de pesticides et insecticides au regard de la moyenne nationale. Mais cette prédominance de l’élevage constitue cependant le principal talon d’Achille du secteur en termes d’émissions, notamment de méthane (dont on rappelle qu’il est 4 fois plus polluant que le CO2…).
Sans surprise là non plus, c’est le défi de l’approvisionnement en eau (en raison de la faible capacité de stockage de notre bon vieux plateau granitique) et les conflits d’usage qui en découlent qui constituent les principales menaces sur notre secteur primaire, en plus de l’apparition de nouveaux ravageurs et maladies.
Du côté des atouts, la tendance à la diversification pour les nouvelles exploitations installées après 2010 est une vraie force qui, grâce à un foncier agricole disponible, pourrait permettre de produire localement une part significative des besoins du territoire.
Rien, on le voit, de bien polémique : même quand Transitions Limousines constate qu’une baisse de la consommation de viande pourrait entraîner une diversification bienvenue des productions, c’est pour acter un changement des modes de consommation déjà à l’œuvre (la consommation de viande bovine en France a baissé de 26% entre 1990 et 2021…) plus que pour l’encourager.
La « CR » voit rouge
Ce n’est pourtant pas ainsi que l’a entendu la Coordination rurale (CR) de Haute-Vienne, qui a vu rouge quand elle a appris la prochaine présentation de ce diagnostic au lycée agricole des Vaseix ce 18 novembre. Le communiqué de presse publié par Charles Muller, administrateur de la CR-87 et président du Conseil d’Administration du lycée, n’y va pas par quatre chemins, parlant de « lavage de cerveau », de « thèses intégristes, reposant sur aucune base scientifique de ce nom, avec un mépris total du métier d’agriculteur et une profonde méconnaissance de la ruralité » et de « séance d’endoctrinement dangereuse et provocatrice ».
Face à cette bronca menaçant de se terminer par une évacuation « manu militari » et dans un souci d’apaisement, Transitions Limousines a choisi de ne pas répondre publiquement, privilégiant des échanges directs et apaisés avec l’auteur du communiqué et son président départemental Bertrand Vanteau (par ailleurs président de la chambre d’agriculture de la Haute-Vienne), puis en décidant de changer le lieu de la réunion qui se tiendra toujours ce mardi 18 novembre mais à 18 heures chez Polaris Formation à Isle (2 Rue du Buisson).
Un même objectif mais des méthodes antagonistes
Cette polémique est d’autant plus déroutante que la Coordination Rurale rappelle dans son texte son objectif respectable de « souveraineté alimentaire du pays », qui rejoint le travail des experts sur la nécessaire relocalisation de la production agricole et de l’engraissement d’animaux aujourd’hui exportés. La présentation du travail factuel et sourcé de Transitions Limousines, dans un lycée agricole de Haute-Vienne, se voulait précisément le point de départ d’une concertation permettant de coconstruire des solutions…
Ce sera pour une prochaine fois. Peut-être quand sera retombée l’effervescence du congrès national de la CR, prévu précisément ces 18-19 novembre, lors duquel le même Bertrand Vanteau défie l’actuelle présidente Véronique Le Floc’h en promouvant, selon ses propres dires, « une méthode dure qui a fait ses preuves »…
Notre Limousin sera-t-il le laboratoire de la confrontation – pourtant évitable – entre deux approches antagonistes pour penser notre avenir alimentaire ?



