Le remembrement rural des années 1960-80 a bouleversé en profondeur le paysage agricole français et impacté les milieux naturels environnants, notamment les cours d’eau. A l’occasion de « Parlons d’Eau », le service « Eau et Milieux Naturels » de Haute-Corrèze organisait des visites de chantiers. L’occasion idéale pour découvrir un travail de fond, ô combien précieux pour l’avenir : la renaturation des cours d’eau.
Le grand « chamboule-tout » du remembrement agricole
Début des années 1960. On est au cœur des « Trente Glorieuses », le chômage plafonne à 1.8%, la croissance dépasse 5% et le progrès est en marche. Le pays tout entier est tourné vers la modernité : l’électroménager, la télévision et les chaînes de supermarchés font leur apparition dans le quotidien des français…
Dans les campagnes, les tracteurs commencent à s’imposer dans les exploitations, mais des révoltes paysannes grondent suite à la suppression de l’indexation des prix agricoles. Malgré les importantes manifestations d’agriculteurs qui agitent les villes après l’effondrement des cours, le gouvernement refuse de revaloriser les prix et préfère lancer un vaste projet pour accélérer la modernisation de l’agriculture. Au coeur de l’été, la première loi d’orientation agricole est promulguée, elle conduit notamment à la création des «SAFER», et la somme allouée au remembrement rural est doublée.
Menée à marche forcée, cette optimisation des espaces agricoles chamboule en profondeur les campagnes sur le plan social comme sur le plan physique. Dans les grandes parcelles, les bulldozers débarquent pour arracher, araser, combler etc. et préparer le terrain pour une agriculture mécanisée et plus productive.
Un petit « voyage dans le temps » grâce à l’IGN vous permettra de visualiser dans le détail les « chamboulements » générés par le remembrement en Limousin depuis 1950.
On assiste alors à de grands changements dans le paysage agricole français :
- + de 15 millions d’hectares sont remembrés pour créer des parcelles de grande superficie, et les terrains seront remodelés pour faciliter l’exploitation mécanique,
- + de 750 000 kilomètres de haies vives sont supprimées,
- une monoculture intensive prend la place de la polyculture pratiquée jusqu’alors,
- de nombreux cours d’eaux sont recalibrés¹ et/ou rectifiés² pour mieux contrôler l’irrigation ou le drainage des parcelles.
¹ le recalibrage d’un cours d’eau consiste à en creuser son lit mineur et à l’élargir pour créer un profil plus homogène et favoriser l’écoulement afin de drainer les terres alentours.
² la rectification d’un cours d’eau consiste à en modifier artificiellement le tracé.
Autres temps, autres mœurs. Si ce remembrement forcé a été une aubaine pour certains, il fût aussi un véritable cauchemar pour d’autres, laissant des traces indélébiles dans nombre de familles, sans pour autant soigner les maux qui touchent un « monde paysan » désormais soumis à la dure « loi du marché ». Et si les grands chantiers qui ont suivi ont permis de faire entrer l’agriculture dans une ère moderne, ils s’avèrent aujourd’hui catastrophiques pour les milieux naturels : effondrement de la biodiversité, érosion des sols, dégradation des réseaux hydrographiques etc…
Les petits ruisseaux font les grandes rivières…
En Limousin, terre agricole spécialisée dans l’élevage depuis le XIXème, et dans la production bovine en particulier après-guerre, c’est le recalibrage des ruisseaux et le creusage de rigoles qui seront largement pratiqués pour drainer l’eau des zones humides et les transformer en nouvelles parcelles de pâture.
Malheureusement, cette modification artificielle de la morphologie des ruisseaux aura pour conséquence une dégradation profonde des milieux naturels :
- un courant trop faible et trop linéaire diminue la capacité d’auto-curage des cours d’eau et favorise l’envasement et l’ensablement. En période de crue, les cours d’eau ne jouent donc plus leur rôle de « frein hydraulique ». Pire, les lits se creusent, les berges s’érodent et la sédimentation s’accélère.
- un fond trop homogène entraîne une banalisation des habitats aquatiques et provoque la disparition de nombreux invertébrés qui vivent sur le « substrat » et se nourrissent de la matière organique et des nutriments en excès, participant ainsi à une « auto-épuration » des cours d’eau. C’est alors toute la chaîne alimentaire aquatique qui est bouleversée et l’ensemble de l’écosystème qui est dégradé. La qualité de l’eau est directement impactée.
En se répercutant sur les rivières, le recalibrage a contribué à la dégradation progressive de tout un ensemble de cours d’eaux. Dans le contexte du changement climatique, il accentue les menaces qui pèsent désormais sur la ressource en eau pour l’approvisionnement en eau potable, pour l’abreuvement du bétail, pour l’irrigation des cultures, comme pour les activités humaines et touristiques etc. et bien sûr sur la biodiversité aquatique, maillon essentiel du grand cycle de l’eau.
Le long travail de renaturation des cours d’eau
Lors de son dernier diagnostic, mené sur quelques 1200 km de cours d’eau, le service « Eau et Milieux Naturels » de Haute-Corrèze Communauté (voir ci-dessous) a constaté que 41% du linéaire étudié avait subi un recalibrage par le passé. Ces modifications ne sont pas toujours irréversibles mais il faut pour cela réaliser de nouveaux travaux avec pour objectif, cette fois, de permettre une « renaturation » des cours d’eau.
Le service « Eau et Milieux Naturels» coordonne donc, avec les agriculteurs volontaires de son territoire, des chantiers qui permettent de restaurer la morphologie naturelle des petits ruisseaux qui alimentent les rivières de leurs territoires. Ces travaux consistent à :
1. Restaurer un tracé naturel et respectant la topographie naturelle du terrain,
2. Reconstituer le substrat qui tapisse le fond du cours d’eau, avec des blocs de différentes tailles (graviers, galets, blocs…), pour rétablir une diversité des habitats aquatiques,
3. Supprimer les obstacles à la continuité écologique,
4. Clôturer les berges pour éviter le piétinement des berges et la souillure de l’eau par les excréments du bétail,
5. Créer des points d’abreuvements pour l’alimentation en eau des troupeaux
La « renaturation » permet ainsi de redonner une dynamique naturelle du cours d’eau et de recréer des habitats variés. Les espèces aquatiques colonisent le nouveau lit du cours d’eau et l’écosystème rétabli peut à nouveau remplir toutes ses fonctions dans le grand cycle de l’eau.
A noter que ces travaux sont réalisés chez les agriculteurs volontaires et sont subventionnés à hauteur de 80% par l’Agence de l’Eau et la Région Nouvelle-Aquitaine.
Le service « Eau et Milieux Naturels » de Haute-Corrèze Communauté
Depuis 2018, la « Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (GEMAPI) est devenue une compétence obligatoire des intercommunalités. Elle est définie par le code de l’environnement et englobe :
- l’aménagement de bassin hydrographique,
- l’entretien et l’aménagement des cours d’eaux, canaux, lacs et plans d’eau,
- la protection et la restauration des zones humides,
- la défense contre les inondations et contre la mer.
C’est le service « Eau et Milieux Naturels » qui exerce la compétence « GEMAPI » au sein de « Haute-Corrèze Communauté ». Avec 4600 km de cours d’eau (4 fois le cours principal de la Loire !), entre le Plateau de Millevaches et les Gorges de la Dordogne, il a en charge l’un des plus vastes réseaux gérés par une intercommunalité en France.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site hautecorreze.fr.
Merci à Cécile Dupouts, chargée de mission « GEMAPI » à Haute-Corrèze Communauté, pour la visite de chantier et pour les précisions complémentaires qu’elle nous a gentiment apporté !