En Creuse et en Haute-Vienne, les associations des maires et des élus et les structures en charge de la gestion des déchets ont pris des motions contre le projet de consignes sur les bouteilles en plastique jetable proposé par le gouvernement au mois de février dernier. Ils dénoncent un projet de « fausse consigne », une mesure antiécologique et qui pourrait impacter la rentabilité des équipements locaux de gestion des déchets.
La loi « Anti Gaspillage et pour l’Économie Circulaire » (loi AGEC) vise à sortir, d’ici à 2040, de la mise sur le marché des emballages plastiques à usage unique et prévoit donc l’interdiction progressive des contenants et ustensiles en plastique. Après les pailles, les « touillettes », les boîtes alimentaires en polystyrène, c’est la vaisselle jetable des fast food qui a été interdite au 1er janvier 2023 et dans les années à venir, c’est sur la lutte contre les micro-plastiques que vont se concentrer les restrictions prévues par la loi AGEC.
En février 2023, Bérangère Couillard, secrétaire d’État à l’Écologie, a lancé une consultation sur la consigne des bouteilles en plastique avec pour objectif de recycler 90% des bouteilles jetables d’ici à 2030. Si le projet reçoit l’appui des multinationales comme Nestlé, Danone ou Coca, principaux fournisseurs des océans en bouteille en plastique, elle provoque une levée de boucliers des élus locaux et des professionnels des déchets qui dénoncent des « fausses consignes » et avancent que ce principe ne permet en rien de lutter contre la réduction des déchets plastiques et dupent les consommateurs.
A l’instar de leurs confrères dans l’ensemble de l’Hexagone, Les associations des maires et des élus de la Creuse et de la Haute-Vienne, Evolis 23, Syded 87 et Limoges Métropole ont donc récemment voté des motions contre ces « fausses consignes » afin de défendre les services publics de prévention et de gestion des déchets.
« Fausse consigne » et double facture pour les consommateurs
Le principe des bouteilles en verre consignées a survécu jusque dans les années 1980 avant d’être mis à mal avec l’arrivée massive des bouteilles en plastique. Il s’agissait pourtant d’un principe vertueux permettant de maximiser le taux de récupération et d’économiser de l’eau (malgré le nettoyage), de l’énergie et les matières premières nécessaires à la fabrication des nouvelles bouteilles. Les réseaux de consignes ont finalement presque tous été démantelés même si la consigne du verre subsiste dans l’hôtellerie-restauration et chez des producteurs locaux (lait, bière…) qui collectent encore leurs contenants vides pour les réutiliser.
Alors si ce principe vertueux a fonctionné avec les bouteilles en verre, pourquoi ne pourrait-il pas être mis en œuvre et avoir des retombées vertueuses avec les bouteilles en plastique ? Élus et professionnels locaux du tri des déchets avancent trois arguments principaux pour dénoncer le principe proposé par la secrétaire d’État à l’écologie, qu’ils estiment d’ailleurs être une « fausse consigne » :
- Car le principe qui est proposé, et soutenu par les industriels n’est pas un système qui permettra une réutilisation à l’identique des bouteilles. Une fois collectées, les bouteilles seront broyées puis recyclées dans des usines appartenant aux industriels qui pourront alors tirer des profits aux deux extrémités du cycle de vie de leur bouteille en plastique.
- Car ce principe de « fausse consigne » participe à maintenir voire à augmenter l’utilisation des bouteilles en plastique plutôt qu’à la recherche et à la mise en place de solutions de réemploi. En Allemagne, la monétarisation du geste de tri a eu tendance à augmenter le taux de collecte mais aussi la production de déchets au détriment de l’évitement.
- Car la somme payée par le consommateur pour la « consigne » (0.10€ à 0.30€) aura pour effet d’augmenter les prix, allant jusqu’à doubler le prix d’une bouteille d’eau, tout en s’ajoutant au coût de tri sélectif déjà facturé dans les taxes de collecte des déchets.
Les acteurs de la gestion des déchets en Creuse et en Haute-Vienne appellent plutôt à une vraie stratégie de soutien au réemploi afin de limiter réellement la production de plastique à usage unique.
Privatisation Vs financement des équipements publics locaux
Si ce projet de « fausse consigne » crispent les élus locaux, alors qu’on pourrait se réjouir de la perspective que plus aucune bouteille plastique ne trainera dans la nature, c’est aussi car il consiste à créer une forme de privatisation de la gestion des déchets ménagers qui pourrait fortement impacter la rentabilité des équipements publics locaux.
Les collectivités locales sont en première ligne dans la transition écologique et investissent massivement dans la construction et la modernisation des centres de tri et de valorisation des déchets. Elles ont récemment dû s’adapter à l’extension des consignes de tri et poussent même la réflexion jusqu’à la mutualisation d’équipements comme pour le projet d’une unité de valorisation énergétique commune à la Haute-Vienne et à la Creuse afin de combiner la nécessité de disposer d’équipements efficaces tout en maitrisant les dépenses locales.
Or la vente du plastique recyclé représente l’une des sources de revenus non négligeables qui permettent de diminuer les coûts de gestion de déchets. On comprend mieux pourquoi des multinationales qui ne sont pas reconnues pour leurs engagements environnementaux, bien au contraire, se décident tout à coup à vouloir mettre un place un système de consigne. Cela leur permettrait de mettre la main gratuitement, les coûts étant finalement supportés par le consommateur, sur une nouvelle manne financière tout en se payant un bon coup de greenwashing au passage. Mais avec ce nouveau trou dans leur portefeuille, les collectivités seraient quant à elles contraintes d’augmenter leur taxe d’ordures ménagères…
La fin de la concertation proposée par Bérangère Couillard, qui a été remplacée par Sarah El Haïry lors du dernier remaniement, devait s’achever en juin mais a finalement été reportée à l’automne. Aucune chance que les élus locaux ne changent d’avis d’ici là mais il ne serait pas impossible que le gouvernement se passe de l’avis du Parlement dans cette affaire. Avec la bénédiction de Nestlé, Coca, Danone, Pepsico & co… ces entreprises pour qui la Nature est chère, dès lors qu’elle peut rapporter gros.