Cette semaine, « Huguette », la tenancière d’un bar-tabac-presse qui porte son nom à Saint-Angel (19) a nettoyé son zinc pour la dernière fois. Elle aura passé 56 ans derrière son comptoir ! Avant de passer le flambeau à sa fille Christelle, cette octogénaire au sourire généreux revient sur cette vie passée derrière le comptoir.
Il est des visages qui font la vie d’un village, des sourires qui égayent le quotidien, génération après génération et des yeux qui voient défiler des morceaux de vies depuis des décennies. A Saint-Angel, c’est celui d’Huguette De Roo qui aura marqué le village depuis plus de 50 ans. En bordure de la D1089, chaque matin depuis 1968, elle ouvre la porte de « Chez Huguette », son bar-café-tabac-presse. Sept jours sur sept et toute l’année, sauf le 1er mai ! « J’ai repris le bar au lendemain de mai 68 ! », se souvient la Saint-Angelloise.
Huguette est née ici, dans ce petit village de Haute-Corrèze, il y a précisément 84 ans. « Mes parents étaient paysans, ils ne gagnaient pas beaucoup de sous, alors à 20 ans je suis partie travailler dans les restaurants », se souvient-elle. Après une première saison à Meymac, elle travaille ensuite aux Messageries, célèbre institution usselloise, avant d’apprendre quelques années plus tard qu’un bar-restaurant de Saint-Angel est à vendre. L’affaire est vite conclue et, en 1968, Huguette et Victor reprennent le flambeau d’un bar installé depuis belle lurette dans le petit village. « Avant les Francetti, c’était les Verdier, et encore avant, les Lafont. À cette époque, dans les années 1950, c’était réputé ! Ils faisaient tout : bar, hôtel-restaurant, et même boucherie ! », se souvient celle qui y allait enfant.
Quand Huguette a commencé son activité à Saint-Angel, en bordure de ce qui était encore la « Nationale 89 », il y avait du passage et cinq bars dans le village ! « C’était une autre époque, les gens n’avaient rien d’autre à faire que venir dans les bars », retrace-t-elle sans amertume. Elle, elle a résisté, mais ses collègues ont fini par fermer, les uns après les autres. « L’arrivée de l’Autoroute A89 (en 2002, ndlr) a changé les choses quelques années mais finalement le trafic est revenu », constate Huguette. Il faut dire que l’axe est passant : Clermont-Ferrand-Ussel à l’est, Tulle-Egleton à l’ouest, Meymac au nord…
Et en 56 années passées à servir le café du matin et la gentiane du soir, elle en a entendu des histoires. « Pour être derrière un bar comme ça, il faut de la patience et être à l’écoute. J’avais des clients qui me racontaient leur vie. Des fois, je passais deux heures à les écouter. », raconte celle qui pourrait « écrire un livre en plusieurs tomes sur ces histoires ! » Il faut dire qu’elle en aura vu défiler des clients, jusqu’à quatre générations d’une même famille. Son village, elle le connait par cœur, d’autant qu’Huguette ne s’est pas cantonnée à rester dans son bar, elle s’est aussi impliquée dans la vie locale, tout en élevant quatre enfants : « J’ai fait les parents d’élèves, j’ai fait le « comité », j’ai fait le foot et j’ai fait la foire aux fruits de mer. Mais avec tout ça, j’ai vraiment passé des bons moments ».
Mais qu’est-ce qu’on fait une fois le plus grand chapitre de sa vie refermé ? « Je ne sais pas encore ! », lance la retraitée qui aura un œil sur sa remplaçante, sa fille de cinquante ans qui a décidé de reprendre le flambeau. Attablée à côté d’elle, Christelle explique : « J’ai toujours connu le bar. Quand j’étais petite, je descendais et me cachais derrière la porte pour voir et écouter.» Pourtant, la patronne n’a jamais voulu passer le relasi à sa fille. « J’ai essayé de la dissuader, ajoute Huguette avec un sourire au coin des lèvres. Elle avait un métier à côté de chez elle, ses congés payés, ses week-end… Elle ne se rend pas compte ! »
Christelle se rend bien compte. Dès ce samedi 14 décembre, elle ouvrira « Chez Christelle, Little Huguette », et commencera une nouveau chapitre du commerce familial. « Je vais ouvrir tous les jours, comme ma mère à 6 h 30. Il y a les premiers clients qui prennent le café à cette heure-ci, surtout des forestiers », explique celle qui connaît déjà les rouages de l’établissement et qui ne compte pas en changer la recette : « Je garde ce qu’il y a de plus cher ici, la convivialité et l’esprit bistrot ». Un esprit qui va donc perdurer, dans le bourg de Saint-Angel où passent chaque jour des milliers de véhicules. Et des dizaines de vies vont continuer à se croiser et défiler devant le comptoir.